La trinité du statu quo?

--- 4 octobre 2022

L'élection de 2022 n'a pas permis de faire le ménage dans les oppositions à la CAQ

Moins de 24 heures se sont écoulées depuis l’élection québécoise de 2022, dont l’issue a été annoncée en moins de 10 minutes. Les grandes analyses politiques viendront. En attendant, voici quelques éléments de réflexion à chaud. Certains relèvent de l’évidence; d’autres moins. 

Lâchez-moi avec le nombre de députés

On accorde beaucoup d’importance au nombre de députés. C’est normal: c’est la taille de la députation qui détermine le poids (et le pouvoir, les privilèges et les ressources) des partis à l’Assemblée nationale.

Ce focus sur le nombre de députés correspond néanmoins à une vision relativement étroite de la politique, limitée au jeu du pouvoir parlementaire. Cette perspective n’est pas insignifiante – c’est la principale obsession des stratèges et organisateurs électoraux – mais la politique est une entreprise plus vaste et le nombre de sièges ne raconte pas toute l’histoire. La CAQ n’existait pas il y a 12 ans. À l’élection de 2012, elle a obtenu 19 sièges, soit deux de moins que le PLQ en a obtenu hier. La CAQ de 2012 était-elle plus faible, politiquement, que le PLQ de 2022? Il n’y a pas de réponse scientifique à cette question, mais une chose est sûre: six ans plus tard, la CAQ formait un gouvernement majoritaire. 

Un autre point: si le nombre de députés détermine le temps de parole à l’Assemblée nationale, il n’a pas beaucoup d’impact sur la place qu’un parti occupe dans l’espace public. Pendant des mois, Éric Duhaime et Paul St-Pierre Plamondon se sont beaucoup fait entendre, bien qu’ils n’aient pas été élus. Sur les réseaux sociaux, Québec solidaire occupe depuis toujours un espace disproportionnellement élevé par rapport à sa députation.

Finalement, il ne faut pas oublier que, pour le meilleur et pour le pire, les partis politiques ont assez peu de contrôle sur le nombre de députés qu’ils font élire. Dans un monde idéal, ils ne devraient même pas chercher à en avoir. Avec notre mode de scrutin épouvantable, le nombre de députés d’un parti dépend en bonne partie de la concentration du vote. Avec 14% des votes, concentrés dans une région, vous pourrez faire élire une vingtaine de députés. Avec 15% des voix, réparties un peu partout au Québec, vous finirez avec trois députés. 

La solution évidente (et plus nécessaire que jamais) serait de changer le mode de scrutin. Mais, en attendant, que devrait faire un parti pour augmenter son nombre de députés? Devrait-il chercher à améliorer sa performance électorale en se concentrant sur une région? Promettre 32 hôpitaux à la Montérégie? Trois tunnels sur la Côte Nord? Un voyage à Disneyworld pour tout le 418? Veut-on vraiment encourager (encore davantage) ce genre de clientélisme régional? Je ne crois pas. 

Les partis qui veulent augmenter leur députation devraient chercher à convaincre l’électorat, où qu’il soit, avec des propositions qui visent l’intérêt public général. Les appuis risquent d’être dispersés. Mais ils se traduiront éventuellement en députés s’ils sont suffisants. L’alternative – c’est-à-dire le ciblage opportuniste de régions «payantes» avec des propositions clientélistes sur mesure – peut donner des résultats à court terme. Mais à long terme il détruit la politique de l’intérêt public et du bien commun

Pour ces raisons, je m’intéresse surtout au vote populaire, qui traduit plus fidèlement l’opinion publique que les distorsions électorales du nombre de députés. 

Qui monte et qui descend?

Voici le nombre de votes reçus par chaque parti lors des élections de 2018 et de 2022:

Voici la tendance des trois dernières élections en nombre de votes:

Ces chiffres m’inspirent quatre conclusions :

1) Deux partis peuvent légitimement célébrer: la CAQ et le PCQ. Leurs appuis ont augmenté de façon significative. Il est particulièrement ironique de noter que ces deux partis ont profité de la pandémie: la CAQ en reconnaissance de sa gestion de la crise, le PCQ comme véhicule de protestation contre la gestion de la crise par la CAQ. Plusieurs prédisent que les appuis au PCQ s’effriteront au cours des prochaines années, quand la pandémie s’éloignera et que les Québécois découvriront le programme libertarien d’Éric Duhaime. C’est possible. Mais le Parti Conservateur du Canada vient de se choisir un chef libertarien en la personne de Pierre Poilièvre, avec plusieurs appuis au Québec. Il serait étonnant que la vague libertarienne qui déferle chez les Conservateurs canadiens n’ait aucun écho au Québec. 

2) QS ne peut pas célébrer, mais ne devrait pas désespérer non plus. De tous les partis qui se présentent comme des alternatives progressistes à la CAQ, Québec solidaire est celui qui recule le moins, de seulement 2,5%, et le parti ajoute un siège. En arrivant 2e dans le vote populaire, avec des appuis mieux répartis que ceux du PLQ et près de quatre fois la députation du PQ, Québec solidaire peut prétendre incarner l’alternative politique à la CAQ. Une alternative encore faible, qui devra trouver les moyens de croître, notamment en s’éloignant d’un discours de gauche traditionnelle peu susceptible de rallier les Québécois. Mais au moins le parti a une vision socioéconomique et identitaire qui contraste clairement avec celle de la CAQ.

3) Le PQ ne peut pas vraiment célébrer non plus, mais considérant que pratiquement tous les commentateurs avaient annoncé sa mort, le résultat ressemble presque à une résurrection. L’élection amplement méritée de PSPP, combinée à une 3e place dans le vote populaire, donne l’impression que le parti a freiné sa chute. Les bases sont fragiles et la suite n’est pas claire, mais le parti a évité la disgrâce et pourrait être bien positionné pour reprendre des discussions – hautement incertaines et délicates – en vue d’une alliance avec Québec solidaire, dont il partage plusieurs idées. 

4) Dominique Anglade sera soulagée d’avoir conservé son siège et le titre d’opposition officielle. Au-delà de ces consolations, toutefois, le résultat est catastrophique pour le PLQ. Entre 2014 et 2018, le PLQ avait déjà perdu 756 034 votes, soit 43% de ses appuis. Entre 2018 et 2022, il a perdu 410 866 votes de plus, une autre chute de 41%. Ce faisant, le PLQ est passé de la première place à l’avant-dernière en 2022. Ce résultat semi-inattendu devrait susciter des réflexions profondes au sein du parti Libéral. Les ajustements tactiques et cosmétiques risquent d’être inutiles tant que le PLQ n’aura pas clairement défini sa raison d’être et son ADN essentiel et distinctif dans le nouveau paysage politique québécois. 

Et la suite?

Personne ne peut prédire l’avenir et bien des choses se passeront d’ici 2026. D’ici là, voici quand même quelques éléments de réflexion.

Tant que nous serons prisonniers de notre épouvantable-mode-de-scrutin, la CAQ risque d’en mener large, surtout si François Legault demeure chef. La CAQ rassemble des souverainistes et des fédéralistes, des gens de centre et de droite, et son approche de gestionnaire pragmatique des vraies affaires (et de notre sacro-sainte fierté) rassure beaucoup de monde. Le goût du changement risque d’être plus fort en 2026, mais tant que l’opposition sera divisée en quatre, la CAQ sera pratiquement certaine d’être réélue. Bien sûr, il faudra gérer un caucus énorme, rempli de gros egos et de députés ministrables, ce qui risque de faire des flammèches. Mais ces intrigues internes émeuvent davantage les chroniqueurs que le grand public. 

Le PCQ poursuivra sans doute dans la direction prise par Éric Duhaime lors de la campagne: prêcher l’évangile de la privatisation, des baisses d’impôt, de l’exploitation des énergies fossiles et de l’émancipation des individus opprimés par l’État. Le PCQ gardera un oeil attentif sur son grand frère du fédéral et voudra sans doute s’associer à sa popularité, si elle se confirme. Tous les messages du PCQ ne susciteront pas un engouement égal, mais ses attaques contre la lourdeur bureaucratique, l’inefficacité des services publics et le poids de la fiscalité – le credo adéquiste d’origine – feront souvent mouche et forceront la CAQ à réagir. Contrairement au trio PLQ-PQ-QS, le PCQ a l’avantage d’être seul à exploiter le marché politique à droite de la CAQ. L’espace est limité, mais le PCQ y fait le plein.

Le PQ, QS et le PLQ (du moins dans la version promue par Dominique Anglade) ont un problème de division et de chevauchement. Ces trois partis cherchent à occuper l’espace politique au centre et à gauche de la CAQ — un marché politique plus important que celui du PCQ — avec des programmes globalement plus verts et axés sur la justice sociale. Sur ces questions, au prix de quelques compromis, les trois formations pourraient sans doute converger, particulièrement en matière environnementale. 

Malheureusement, ces partis sont divisés sur certains enjeux qui agissent comme des repoussoirs viscéraux pour chacun d’entre eux. L’indépendantisme du PQ et de QS est un anathème au PLQ, alors que le fédéralisme libéral est radioactif pour les péquistes. Les positions identitaires du PQ, notamment en matière de laïcité et d’immigration, sont imbuvables pour les solidaires et les libéraux, dont la posture sur ces questions fait vomir les péquistes. Au plan économique, un fort contingent d’électeurs libéraux sont plus près de la CAQ (voire du PCQ) que de QS, et pourraient même être tentés d’aller concurrencer Éric Duhaime sur son terrain.

Il va sans dire que, pour offrir une alternative forte à gauche de la CAQ, il faudra tôt ou tard qu’un parti émerge comme vaisseau amiral du progressisme au Québec. Pendant un temps, certains ont cru que l’élection de 2022 ferait le ménage en éliminant le PQ et en positionnant QS comme seule véritable opposition. Le résultat électoral est toutefois beaucoup plus ambigu, avec trois partis qui, chacun à leur façon, peuvent encore se présenter comme le meilleur contrepoids au rouleau-compresseur caquiste. Il semble que la survie inattendue du PQ, la performance décevante de QS et la distorsion électorale du vote libéral prolongera encore le statu quo pour un bout.


Jérôme Lussier s’intéresse aux enjeux sociaux, politiques et économiques. Juriste, journaliste et idéaliste, il a tenu un blogue au VOIR et à L'Actualité et a occupé divers postes en stratégie et en politiques publiques, incluant à l'Assemblée nationale du Québec, à la Caisse de dépôt et à l'Institut du Québec. Il travaille actuellement comme directeur des affaires parlementaires au Sénat.

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