Parti libéral du Québec: l’éléphant dans la pièce

--- 7 novembre 2022

Le Parti libéral a perdu sa raison d’être et la suite n’est pas claire

Dominique Anglade a donc démissionné aujourd’hui. Sa sortie a été digne. La fronde était forte. La politique est dure.

Depuis l’élection du 3 octobre, pas un jour ne passait sans qu’un article, une chronique ou un proche du parti ne remette en cause son poste à la chefferie du PLQ. On a évoqué la défaite électorale historique, la démotivation des troupes, la désorganisation et les ratés de campagne, le déni et la déconnexion, les tensions internes et, dernier chapitre, la saga entourant l’exclusion de la députée Marie-Claude Nichols. 

Je connais bien Dominique Anglade, notamment pour avoir travaillé avec elle entre juin 2020 et juillet 2021 au cabinet de l’opposition officielle. C’est une amie et une femme de grande valeur. Mais ce n’est pas de Dominique dont je veux parler ici. Quand un parti est en difficulté, et le PLQ est en grave difficulté, le premier réflexe est souvent de vouloir changer le ou la chef, comme une équipe perdante change son coach. Et des fois, ça marche

Mais il arrive aussi que le vrai problème soit ailleurs. 

Je n’écris pas ceci pour absoudre Dominique Anglade de toute responsabilité. Elle serait la première à reconnaître que, comme cheffe, elle est ultimement imputable de ce qui se passe au parti. Je ne suggère pas non plus qu’un changement de leadership n’aura pas d’impact. La politique est une entreprise éminemment humaine et la personnalité du leader a énormément d’importance. 

Dans le cas du PLQ, toutefois, des questions profondes se posent au-delà de la tête d’affiche. En deux mots: le Parti libéral a perdu sa raison d’être. Et la suite n’est pas claire.

UN ADN À RETROUVER

D’autres partis sont aussi en difficulté, bien sûr. Les appuis du PQ ont fondu, il n’a que trois députés, etc. Mais le PQ garde son étoile polaire: le combat pour l’indépendance du Québec. À lui seul, cet objectif ultime cristallise la raison d’être du parti et donne une certaine cohérence à ses actions. Ça ne garantit pas le succès, évidemment. Mais si des touristes de passage au Québec vous demandent à quoi sert le PQ, vous pourrez répondre en une phrase: « C’est le parti qui veut que le Québec devienne un pays ». 

D’autres partis ont aussi un ADN bien défini. Québec Solidaire est un parti de gauche assumée: redistribution de la richesse, défense des pauvres et des marginalisés, écologisme sans compromis. Son score électoral plafonne, mais au moins on sait à quelle enseigne le parti loge. L’identité du Parti conservateur du Québec est aussi claire, mais à l’opposé: liberté individuelle, non-intervention, privatisation et aucun souci environnemental. La CAQ est un parti moins idéologiquement campé et très lié à la personnalité de François Legault, mais son ADN est néanmoins bien visible: un parti de gestionnaires pragmatiques, nationaliste sans l’épouvantail de la souveraineté, plutôt conservateur aux plans économique et identitaire.  

Et le Parti libéral, lui? On ne sait plus. 

Fédéraliste? Bien sûr – mais face à quelle menace imminente? Avec un PQ squelettique, cet enjeu n’a pratiquement plus de traction. Le «parti de l’économie»? Soit – mais qu’est-ce que ça veut dire? Quelles idées fortes distinguent le PLQ des autres partis – au premier chef la CAQ – qui parlent aussi d’économie? Le parti de l’inclusion, de la diversité, des droits et libertés? Bien sûr – mais comment se distinguer de Québec Solidaire et articuler ces idées de manière à rejoindre aussi la majorité francophone? Le parti des propositions concrètes, de la continuité modérée et de la gestion pragmatique? Peut-être – mais est-ce à dire que le PLQ n’a pas de programme politique distinct de celui de la CAQ? 

Face à la dérive actuelle, certains rappellent inlassablement les huit valeurs libérales de Claude Ryan comme fondements du parti. Malheureusement, ces valeurs sont tellement vagues et nombreuses qu’elles permettent au PLQ d’incarner tout et son contraire au gré des circonstances. Or, maintenant que cinq partis significatifs se disputent l’électorat, il faut être capable de se définir et de se distinguer de manière claire. 

QUATRE OPTIONS?

Que faire aujourd’hui pour redonner une identité forte à la vénérable formation politique?

Quatre groupes semblent s’affronter.

Les premiers, les « bons Libéraux », sont probablement majoritaires parmi les militants restants. Ils rêvent d’un retour aux belles années et aux « vraies affaires » de Charest et Couillard. Pour ce camp, il suffit de revenir aux sources – gestion pragmatique, programme économique de centre-droit, fédéralisme assumé et défense des clientèles traditionnelles et du milieu des affaires – pour renouer avec les succès d’antan. La recette Charest-Couillard a été gagnante en 2003, 2007, 2008 et 2014 – pourquoi ne le serait-elle pas en 2026? Pour ces militants issus de la famille, le PLQ devrait se concentrer sur le développement économique régional, l’innovation, la productivité et les enjeux concrets, et laisser les questions environnementales, les questions sociales et les chicanes avec le fédéral aux partis de gauche et aux séparatistes

Le problème de cette approche, c’est qu’elle repose en grande partie sur le déni, c’est-à-dire le refus de prendre acte de la transformation du paysage politique québécois depuis l’émergence de la CAQ. Au fond, les bons Libéraux se positionnent encore comme des anti-péquistes – pour plusieurs, la CAQ n’est d’ailleurs qu’un PQ rebrandé – mais la réalité politique a changé, et le Québec aussi. La recette libérale traditionnelle fonctionnait bien comme contrepoids au PQ mais il est loin d’être clair qu’elle sera efficace face à la CAQ, voire face au Parti conservateur d’Éric Duhaime.

Le deuxième groupe, celui des Libéraux nationalistes, s’intéresse moins aux enjeux économiques qu’aux questions identitaires. Ces militants attribuent les déboires actuels du PLQ à sa déconnexion de l’électorat francophone et concluent que les positions défendues par MM. Charest et Couillard dans les dossiers de langue française, des «valeurs québécoises» et des relations fédérales-provinciales ont coulé le parti. Par conséquent, ce camp propose un virage qui marque une rupture avec le PLQ des 20 dernières années: appui au renforcement de la loi 101 (incluant le recours possible à la clause dérogatoire), approche plus nationaliste concernant l’immigration et la laïcité, et attitude plus revendicatrice et combative face à Ottawa, en particulier sur les enjeux de partage des compétences. 

Le problème de cette approche, c’est qu’elle propose essentiellement la caquification du Parti libéral. Le Québec se retrouverait ainsi avec deux «partis de l’économie» nationalistes — gestionnaires pragmatiques qui promettent de défendre l’identité québécoise au sein du Canada. Avec ce positionnement interchangeable, le PLQ risque toutefois de sortir perdant: contesté dans les communautés anglophones et immigrantes, sans nécessairement rallier l’électorat francophone qui préférera l’original caquiste à la copie libérale bleu pâle. 

Le troisième groupe – appelons-les Radicaux pour mettre un peu de piquant – rêve d’un Parti libéral transformé en vaisseau-amiral du progressisme québécois. Ce PLQ 2.0 offrirait un contraste politique clair à la CAQ: un programme économique moderne, qui accorde une place centrale aux enjeux sociaux et écologiques, et une vision évolutive de l’identité québécoise qui embrasse les questions de langue, de diversité et d’immigration avec ouverture et bienveillance. Ce PLQ transformé pourrait même troquer le fédéralisme militant pour un patriotisme tranquille et attirer des souverainistes modérés. Le PLQ deviendrait ainsi un espèce de Parti Démocrate du Québec – une formation progressiste mainstream qui pourrait (comme la CAQ) héberger différents courants politiques au sein d’une grande tente: des idéalistes et des pragmatiques, des militants plus à gauche et d’autres plus au centre, des nationalistes et des fédéralistes modérés, etc. 

Le problème avec cette voie, c’est qu’elle ne suscite aucun enthousiasme chez la plupart des militants libéraux, qui se sentent souvent plus proches du Parti conservateur ou de la CAQ que de Québec Solidaire. Elle impliquerait par ailleurs des virages et des risques qui déplaisent à ceux, nombreux, qui croient que le PLQ reprendra naturellement le pouvoir quand la CAQ sera usée. 

Reste enfin la quatrième option: le pari du fourre-tout. On renonce à une identité politique cohérente pour proposer un catalogue de candidats et de propositions diversifiées et à faible risque. L’objectif consiste à créer un parti protéiforme et inclassable – ni à droite, ni à gauche, ni progressiste, ni conservateur, ni révolutionnaire, ni rétrograde. Les enjeux sont analysés au cas par cas en fonction d’intérêts tactiques et opportunistes. L’opposition se contente de critiquer le gouvernement, de brandir des slogans vagues, de lancer quelques idées à droite et à gauche, de maximiser sa visibilité et de miser sur la personnalité d’un(e) leader en attendant que celui d’en face s’enfarge.  

Politiquement parlant, la solution fourre-tout représente le scénario par défaut – celui sur lequel on se rabat quand on est incapable de se doter d’une direction forte qui fédère les troupes. Faute d’une vision claire et inspirante, on propose un menu du jour et des lignes de comm. Le véhicule politique est remplacé par un service à l’auto.

Le PLQ se cherche désormais un nouveau conducteur. Espérons que le parti profitera de l’exercice pour préciser sa destination.


Jérôme Lussier s’intéresse aux enjeux sociaux, politiques et économiques. Juriste, journaliste et idéaliste, il a tenu un blogue au VOIR et à L'Actualité et a occupé divers postes en stratégie et en politiques publiques, incluant à l'Assemblée nationale du Québec, à la Caisse de dépôt et à l'Institut du Québec. Il travaille actuellement comme directeur des affaires parlementaires au Sénat.

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