Montréal au temps du confinement

--- 12 mars 2022

This is a custom heading element.

Jeudi, 12 mars 2020, début d’après-midi. Je roule sur l’autoroute 20. Je sors de la ville pour me rendre à Saguenay, au Festival REGARD. Le lendemain, je dois participer à un épisode de La balado de Fred Savard enregistré sur place. J’écoute à la radio le point de presse de François Legault. C’est à mon souvenir le premier du genre. En tout cas, le premier que j’écoute attentivement. La pandémie et bel et bien commencée. On annonce que les événements publics intérieurs donnant lieu à des rassemblements de plus de 250 personnes doivent être annulés sur le champ. Je ne sais pas si ça s’applique au festival où je dois me rendre.

Je devais partir le lendemain, le vendredi, mais comme on annonçait une tempête de neige ce jour-là, j’ai décidé de partir la veille. Je suis donc en avance et j’ignore si la chambre d’hôtel qu’on m’avait offerte sera disponible. À la halte routière Villeroy je m’arrête pour me faire un café. Tandis que la cafetière chauffe sur mon réchaud, j’appelle les organisateurs du festival pour leur demander si on peut m’accueillir une nuit à l’avance.

La jeune fille au bout du fil m’a semblé bien triste. Elle avait la voix tremblante et je pouvais entendre, malgré ses efforts, que ses mots passaient à travers sa gorge nouée. « Désolé monsieur, nous sommes en train de tout annuler. Inutile de vous rendre jusqu’ici, il faut rebrousser chemin. »

J’ai pris la prochaine sortie. N’ayant aucun plan devant moi pour le reste de la journée, je suis allé rouler lentement le long de la 132 pour revenir vers Montréal. À Bécancour, je me suis arrêté pour aller prendre un bol d’air au bord du fleuve. Le sol était glacé dur. J’ai pris une photo du pont Laviolette et j’ai continué ma route.

Récit photo… Cliquez sur les images pour les agrandir.

À Sorel, je me suis arrêté au Maxi. Je me sentais un peu con, mais je me demandais vraiment s’il ne valait pas mieux faire quelques provisions. Je me disais que là, au moins, je ne risquais pas de croiser un voisin ou un ami qui allait me voir remplir mon panier comme un fou furieux. C’est de ce curieux sentiment qu’allait jaillir la principale leçon que j’ai retenue de cette pandémie qui commençait: je veux bien être aussi nono que tout le monde, mais je ne tiens pas à ce que ça se sache.

La voiture remplie de boîtes de pâtes, de pots de sauce à spaghetti et de papier de toilette, j’ai continué ma route jusqu’à Montréal d’où je n’allais pas sortir, comme bien d’autres, pour plusieurs semaines.


Dès les premiers jours, j’ai été fasciné par les lumières dans la ruelle. Je n’avais jamais vu autant de fenêtres lumineuses en même temps lorsque le soir tombait. Je soupçonnais que tout le monde restait chez soi. Il y avait là quelque chose de rassurant.

Après quelques jours de torpeur, je me suis décidé à me rendre au bureau pour aller chercher des dossiers et du matériel dont j’avais besoin pour travailler de la maison. Je suis parti à 9h30 de la station Jean-Talon, normalement bondée à cette heure là, pour me rendre à la station McGill en passant par Berri-UQAM.

Un fois le train passé, la station McGill était carrément déserte. Seul un monsieur travaillait à nettoyer le plancher. Nous avons échangé quelques mots. Notre conversation terminée, le silence était complet.

Les corridors sous-terrains des promenades de la cathédrale où je passais tous les jours, normalement grouillants de monde en semaine, était aussi presque complètement vides. J’aurais pu me croire en pleine nuit. C’était pourtant un jeudi avant-midi en plein coeur d’une métropole.

Une fois mes affaires ramassées dans mon bureau, je suis remonté à pied du centre-ville pour revenir dans Villeray, question de prendre le pouls de la ville. Je n’ai pas croisé grand monde. Je me suis arrêté devant cette affiche d’Extinction Rebellion en me demandant si ce virus ne tentait pas de nous passer un message.

Je me suis rendu jusqu’au marché Jean-Talon. Là, il y avait un peu de monde. On venait d’installer les lavabos pour se laver les mains.

À partir de ce jour-là, question de me calmer les nerfs, je me suis mis à sortir presque quotidiennement avec mon appareil photo pour me promener dans le quartier. J’arpentais souvent la Plaza Saint-Hubert qui était alors en rénovation. Le chantier abandonné avait des airs de fin du monde. Devant quelques commerces, comme le Dollarama ou la SQDC, les gens faisaient la file en tentant de respecter la règle du deux mètres de distance qu’on commençait à apprivoiser.

Signe du printemps qui s’installait officiellement, le 28 mars le crabe arrivait au marché. On ne se bousculait pas, toutefois. Les gens hésitaient-ils à faire de folles dépenses? L’impossibilité de se rassembler rendait-elle les repas moins festifs? Peut-être… En tout cas, il y avait au moins quelque chose de vivant.

Partout où je marchais, jour après jour, tout semblait éteint. Les panneaux lumineux nous rappelaient de suivre les consignes. Des passants, vêtus pour ne pas risquer d’être infectés, semblaient sortir d’un roman de science-fiction. De toutes les images, celles des cours d’écoles cadenassées me laissaient particulièrement songeur. Danger, ne venez pas jouer ici.

Et finalement, dans mon quartier, on sait que la belle saison est revenue lorsqu’on retire le manteau du marché Jean-Talon pour lui donner sa forme extérieure. Cette année-là, le 29 avril, on allait installer des clôtures pour mieux contrôler le nombre de personnes qui pouvaient y entrer. J’ai sourcillé au début. Je n’avais rien contre l’idée, mais une place du marché, une agora, ainsi clôturée, ça envoyait tout un message.

Après ces premières semaines de confinement montréalais, l’été s’installait avec un peu plus de liberté et un certain relâchement. Nous ne savions pas, à ce moment, que tout cela ne faisait que commencer. Aujourd’hui, les arcs-en-ciel que chacun confectionnait pour envoyer des messages d’espoir semblent bien usés, voire pas mal décousus. Il faudra bien les raccommoder. Ils pourraient encore servir.


Simon Jodoin est auteur, chroniqueur et éditeur. Après des études en philosophie et en théologie à l’Université de Montréal, il a pris part à la réalisation de divers projets médiatiques et culturels, notamment à titre de rédacteur en chef du magazine culturel VOIR. Il est désormais éditeur de Tour du Québec et chroniqueur régulier au 15-18 sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première. Il est l'auteur du livre Qui vivra par le like périra par le like, un témoignage au tribunal des médias sociaux.

Lire tous les articles de Simon Jodoin

Privacy Preference Center