Barbada, des contes pour enfants et l’hygiène morale
Là encore, avant même que l’artiste n’ait pu dire quoi que ce soit, il s’en trouvait pour considérer que son allure pourrait nuire aux enfants.
Il y a quelques semaines, j’ai consacré quelques minutes radiophoniques ainsi que quelques lignes à l’histoire de Franck Sylvestre, cet artiste qui a vu son spectacle être annulé parce que des groupes de pression n’appréciaient pas sa marionnette, à l’effigie d’un personnage Noir, jugée grotesque ou trop laide. Cette dernière, disait-on, pouvait pervertir l’esprit des jeunes enfants, leur inculquer une vision néfaste du monde.
Lors de ma première chronique à ce sujet, au 15-18, je donnais un autre exemple de ce genre d’hygiène morale: celui de Barbada qui avait vu son activité “L’heure du conte avec Barbada” menacé d’annulation par le conseil d’arrondissement de Saint-Laurent et ailleurs à l’été 2022. Là encore, avant même que l’artiste n’ait pu dire quoi que ce soit, il s’en trouvait pour considérer que son allure pourrait nuire aux enfants. Une drag queen lisant un conte à des mamots, ce serait inconcevable, mais surtout immoral.
Aujourd’hui, j’apprends qu’à Sainte-Catherine, en Montérégie, son spectacle qui devait être présenté a dû être déplacé pour des raisons de sécurité. Des manifestants, jugeant un tel spectacle inacceptable, se sont donné rendez-vous devant pour s’y opposer. Selon ce qu’on peut lire dans le fil de presse, parmi les plus motivés, on trouve François Amalega-Bitondo, qui voyait dans la vaccination et les mesures d’urgence une forme de contrôle gouvernemental inadmissible. On peut voir ici une certaine continuité dans ce discours: le gouvernement, par le biais des bibliothèques publiques, tenterait d’endoctriner les enfants. Mon petit doigt me dit que QAnon et le pizzagate ne sont pas très loin.
Pour ajouter au scénario, on a pu voir qu’un groupe nommé « Les féministes queer révolutionnaires » s’est aussi pointé pour donner la réplique à ces agitateurs de mauvaise humeur. J’imagine qu’avec la gueule que j’ai, elles ne me voudraient pas dans leurs rangs. Je les comprends et je vais peut-être vous étonner, mais pour le coup, je les comprends aussi un peu de vouloir lancer quelques tomates.
Évidemment, vous me direz qu’il est permis de manifester, mais tout de même, contemplons la carte postale. Je cite Henri Ouellette-Vézina dans La Presse: « « Nous avons pris la décision de déplacer le lieu du conte pour assurer la sécurité des participants et pour qu’ils puissent profiter de l’activité à laquelle ils s’étaient inscrits » , a confirmé la directrice des communications de la municipalité, Amélie Hudon. Le lieu final de l’activité, tenu « secret », a été communiqué à la vingtaine de familles qui s’étaient inscrites. »
Mais qu’est-ce qui se passe? Des petites familles tranquilles dans la MRC de Roussillon, par un bon dimanche d’avril, ont dû se rendre en catimini dans un lieu secret afin d’écouter un conte pour enfants lu par une drag queen. Le personnage lui-même, avant même qu’il n’ouvre un livre pour commencer sa lecture, serait immoral, dangereux, inconcevable.
Dans la foulée de l’affaire Franck Sylvestre, ma collègue Catherine Richer avait consulté Stéphanie Bénéteau, directrice artistique et générale du festival interculturel du conte de Montréal. À propos de toutes ces craintes des adultes, elle avait eu ces mots: « Je pense que les enfants sont beaucoup plus intelligents qu’on pense, en fait. Ce sont souvent les adultes qui restreignent les interprétations (…) je pense que les enfants sont beaucoup plus capables de comprendre que nous sommes dans l’imaginaire, que nous sommes dans un jeu, que nous sommes dans un espace de liberté. »
Sur une des photos prise par Josie Desmarais dans La Presse, on peut lire sur la pancarte d’un manifestant: Laissez les enfants se découvrir par eux-mêmes.
On aurait envie de répondre à ce monsieur: oui, justement, foutez-leur la paix.
MISE À JOUR – 9 AVRIL 2023
Dans ma chronique radiophonique au 15-18, je me suis intéressé aux histoires que raconte Barbada dans ses heures du conte. Vous pouvez écouter cette chronique ici:
https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/le-15-18/episodes/698745/rattrapage-du-mercredi-5-avril-2023/18
J’ai posé la question à quelques agents culturels qui ont organisé l’activité dans une bibliothèque au cours des derniers mois. Les mêmes ouvrages revenaient souvent, si bien qu’on peut établir une courte liste de titres. La voici:
Fourchon, de Kyo Maclear et illustré par Isabelle Arsenault – La Pastèque – Traduit par Fany Britt
Le crocodile qui avait peur de l’eau par Gemma Merino
Le mur par Giancarlo Macri
Fred s’habille par Peter Brown
Steve, un cheval exceptionnel par Kelly Collier
Ada la grincheuse en tutu, d’Élise Gravel
Dans les souliers d’Amédée – Véronique Lambert , Éléna Comte
Comme on peut le constater, il s’agit de livres à succès, disponibles en grand nombre dans toutes les librairies et les bibliothèques.
Simon Jodoin est auteur, chroniqueur et éditeur. Après des études en philosophie et en théologie à l’Université de Montréal, il a pris part à la réalisation de divers projets médiatiques et culturels, notamment à titre de rédacteur en chef du magazine culturel VOIR. Il est désormais éditeur de Tour du Québec et chroniqueur régulier au 15-18 sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première. Il est l'auteur du livre Qui vivra par le like périra par le like, un témoignage au tribunal des médias sociaux.
7 Commentaires
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M. Jodoin,
Si quelqu’un revêt un costume traditionnel autochtone, on parle d’appropriation culturelle. Alors si un homme s’habille outrageusement en femme, comme une caricature de femme, on appelle ça comment?
Pour ma part je pense que ça commence à bien faire de rire des femmes, et de les effacer de toutes les façons possibles, dont les appeler « parent #2 », ou « personne avec un vagin ». Ou d’en faire des manufactures de bébés pour d’autres… Il n’y a aucune femme qui s’habille comme Barbada.
Alors une dragqueen éducatrice d’enfants, c’est non. C’est juste non. Un déguisement de spectacle ça se porte sur une scène ou dans un carnaval. Barbada, c’est un personnage costumé, comme le bonhomme carnaval ou le malade imaginaire ou un clown, pas une personne qu’on a l’obligation de ne pas offenser.
Sinon, le monsieur en-dessous du costume de la Barbada, il peut très bien aller lire ses contes habillé normal, comme il s’habille tous les jours. Il y a là tout à penser qu’on est en présence d’une cabale pro-transgenre, du formatage d’esprits malléables, sous couvert vertueux « d’ouverture à la diversité ».
Vous savez, quand on enseigne aux enfants qu’accueillir une dragqueen c’est s’ouvrir à la diversité, on confond le personnage costumé de scène avec la personne. C’est une confusion de genres, dans tous les sens du terme. Et on donne aux enfants une bien mauvaise image des femmes. Il faudrait au minimum leur dire que c’est un personnage, un clown, et non un modèle facultatif de choix de genre parmi d’autres.
Bibiane B.
P.S, Je suis obligée de vous répondre ici, parce que je ne peux pas commenter sur Facebook, étant donné que malgré deux demandes, vous n’avez toujours pas accepter mon invitation sur Facebook.
J’ai suivi vos «règles simples», mais vous n’avez pas pour autant publié mon commentaire.
Et moi qui ai déjà eu une bonne opinion de vous… Tout peut changer n’est-ce pas…
Ma chère madame,
Comprenez simplement qu’il puisse arriver qu’un commentaire ne soit pas publié sur le champ et que, dans le feu de l’action de la vie quotidienne, nous n’arrivons pas à tout faire dans un délai raisonnable. Ce sont des choses qui arrivent assez souvent, même avec les meilleurs intentions du monde.
Bien à vous.
Burlesque est le moins qu’on puisse dire. Les manifs pour et contre sont assez spectaculaires pour des petites villes d’ordinaire tranquilles. Burlesque, un terme qui appartient pourtant au cabaret. Ce qui dérange c’est que le travesti de scène est sorti de sa cage aux folles pour lire des histoires aux enfants, à la bibliothèque par un après-midi de weekend froid.
Selon Wikipédia, le Maire Drapeau s’efforçait de faire fermer les cabarets où Guilda se donnait en spectacle dans ses belles années à la tête de la cité. On devait reprocher à Guilda de personnifier les actrices hollywoodiennes de l’époque alors que c’était un homme. C’est pourtant ça l’attrait des performances extravagantes qu’on appelle aujourd’hui Drag Queen. Wiki nous informe qu’il a été marié à deux femmes et aurait eu trois enfants, sans cacher sa bisexualité.
Les enfants n’ont rien à voir avec cette controverse. Qu’ils assistent ou non à une lecture de contes de Barbada ne changera en rien à leur ouverture ou non sur l’inclusion des genres, orientation ou autre. Ce n’est pas une conférence sur l’orientation ou l’identité mais bien la lecture du Petit Chaperon Rouge ou du Chat Botté.
Mado Lamothe est pleine d’humour et je l’adore, je lui confis mes enfants demain.
Si c’est repris par des défenseurs des droits des LGBT+ pour le caractère peut-êtrement homo de l’univers Drag Queen, alors qu’ils le fassent bien. Adapter le D à LGBT devient burlesque justement, on en perdrait l’essence. Ça commence à faire cher le litre.
Qui sait, peut-être irais-je moi-même avec mon enfant aux lectures d’une Drag. Pour la forme, je m’assurerai de commander deux bières au comptoir de la bibliothèque. Pour tester la zone tampon.
Geoffroy
Ce que je trouve bizarre c’est que personne ne s’interroge sur le contenu de ces contes pour enfants. Il est là le problème. Quel message cette drag queen veut faire passer aux très jeunes enfants ? Foutez la paix aux enfants et laissez-les vivre leur vie d’enfant !
À Monique ainsi que ceux et celles que ça pourrait intéresser.
Dans ma chronique au 15-18, je me suis justement intéressé aux histoires que raconte Barbada.
Vous pouvez écouter ici:
https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/le-15-18/episodes/698745/rattrapage-du-mercredi-5-avril-2023/18
J’ai posé la question à quelques agents culturels qui ont organisé l’activité dans une bibliothèque au cours des derniers mois. Les mêmes ouvrages revenaient souvent, si bien qu’on peut établir une courte liste de titres. La voici:
Fourchon, de Kyo Maclear et illustré par Isabelle Arsenault – La Pastèque – Traduit par Fany Britt
Le crocodile qui avait peur de l’eau par Gemma Merino
Le mur par Giancarlo Macri
Fred s’habille par Peter Brown
Steve, un cheval exceptionnel par Kelly Collier
Ada la grincheuse en tutu, d’Élise Gravel
Dans les souliers d’Amédée – Véronique Lambert , Éléna Comte
Comme vous pouvez le voir, il s’agit de livres à succès, disponibles en grand nombre dans les librairies et les bibliothèques et que n’importe qui pourrait se procurer.
Merci Simon Jodoin pour votre réponse !