Barbada, des contes pour enfants et l’hygiène morale

--- 2 avril 2023

Là encore, avant même que l’artiste n’ait pu dire quoi que ce soit, il s’en trouvait pour considérer que son allure pourrait nuire aux enfants.

Publicité du spectacle de Barbada - source: lepointevente.com

Il y a quelques semaines, j’ai consacré quelques minutes radiophoniques ainsi que quelques lignes à l’histoire de Franck Sylvestre, cet artiste qui a vu son spectacle être annulé parce que des groupes de pression n’appréciaient pas sa marionnette, à l’effigie d’un personnage Noir, jugée grotesque ou trop laide. Cette dernière, disait-on, pouvait pervertir l’esprit des jeunes enfants, leur inculquer une vision néfaste du monde.

Lors de ma première chronique à ce sujet, au 15-18, je donnais un autre exemple de ce genre d’hygiène morale: celui de Barbada qui avait vu son activité “L’heure du conte avec Barbada” menacé d’annulation par le conseil d’arrondissement de Saint-Laurent et ailleurs à l’été 2022. Là encore, avant même que l’artiste n’ait pu dire quoi que ce soit, il s’en trouvait pour considérer que son allure pourrait nuire aux enfants. Une drag queen lisant un conte à des mamots, ce serait inconcevable, mais surtout immoral.

Aujourd’hui, j’apprends qu’à Sainte-Catherine, en Montérégie, son spectacle qui devait être présenté a dû être déplacé pour des raisons de sécurité. Des manifestants, jugeant un tel spectacle inacceptable, se sont donné rendez-vous devant pour s’y opposer. Selon ce qu’on peut lire dans le fil de presse, parmi les plus motivés, on trouve François Amalega-Bitondo, qui voyait dans la vaccination et les mesures d’urgence une forme de contrôle gouvernemental inadmissible. On peut voir ici une certaine continuité dans ce discours: le gouvernement, par le biais des bibliothèques publiques, tenterait d’endoctriner les enfants. Mon petit doigt me dit que QAnon et le pizzagate ne sont pas très loin.

Pour ajouter au scénario, on a pu voir qu’un groupe nommé « Les féministes queer révolutionnaires » s’est aussi pointé pour donner la réplique à ces agitateurs de mauvaise humeur. J’imagine qu’avec la gueule que j’ai, elles ne me voudraient pas dans leurs rangs. Je les comprends et je vais peut-être vous étonner, mais pour le coup, je les comprends aussi un peu de vouloir lancer quelques tomates.

Évidemment, vous me direz qu’il est permis de manifester, mais tout de même, contemplons la carte postale. Je cite Henri Ouellette-Vézina dans La Presse: « « Nous avons pris la décision de déplacer le lieu du conte pour assurer la sécurité des participants et pour qu’ils puissent profiter de l’activité à laquelle ils s’étaient inscrits » , a confirmé la directrice des communications de la municipalité, Amélie Hudon. Le lieu final de l’activité, tenu « secret », a été communiqué à la vingtaine de familles qui s’étaient inscrites. »

Mais qu’est-ce qui se passe? Des petites familles tranquilles dans la MRC de Roussillon, par un bon dimanche d’avril, ont dû se rendre en catimini dans un lieu secret afin d’écouter un conte pour enfants lu par une drag queen. Le personnage lui-même, avant même qu’il n’ouvre un livre pour commencer sa lecture, serait immoral, dangereux, inconcevable.

Dans la foulée de l’affaire Franck Sylvestre, ma collègue Catherine Richer avait consulté Stéphanie Bénéteau, directrice artistique et générale du festival interculturel du conte de Montréal. À propos de toutes ces craintes des adultes, elle avait eu ces mots: « Je pense que les enfants sont beaucoup plus intelligents qu’on pense, en fait. Ce sont souvent les adultes qui restreignent les interprétations (…) je pense que les enfants sont beaucoup plus capables de comprendre que nous sommes dans l’imaginaire, que nous sommes dans un jeu, que nous sommes dans un espace de liberté. »

Sur une des photos prise par Josie Desmarais dans La Presse, on peut lire sur la pancarte d’un manifestant: Laissez les enfants se découvrir par eux-mêmes.

On aurait envie de répondre à ce monsieur: oui, justement, foutez-leur la paix.

MISE À JOUR – 9 AVRIL 2023

Dans ma chronique radiophonique au 15-18, je me suis intéressé aux histoires que raconte Barbada dans ses heures du conte. Vous pouvez écouter cette chronique ici:
https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/le-15-18/episodes/698745/rattrapage-du-mercredi-5-avril-2023/18

J’ai posé la question à quelques agents culturels qui ont organisé l’activité dans une bibliothèque au cours des derniers mois. Les mêmes ouvrages revenaient souvent, si bien qu’on peut établir une courte liste de titres. La voici:

Fourchon, de Kyo Maclear et illustré par Isabelle Arsenault – La Pastèque – Traduit par Fany Britt

Le crocodile qui avait peur de l’eau par Gemma Merino

Le mur par Giancarlo Macri

Fred s’habille par Peter Brown

Steve, un cheval exceptionnel par Kelly Collier

Ada la grincheuse en tutu, d’Élise Gravel

Dans les souliers d’Amédée – Véronique Lambert , Éléna Comte

Comme on peut le constater, il s’agit de livres à succès, disponibles en grand nombre dans toutes les librairies et les bibliothèques.


Simon Jodoin est auteur, chroniqueur et éditeur. Après des études en philosophie et en théologie à l’Université de Montréal, il a pris part à la réalisation de divers projets médiatiques et culturels, notamment à titre de rédacteur en chef du magazine culturel VOIR. Il est désormais éditeur de Tour du Québec et chroniqueur régulier au 15-18 sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première. Il est l'auteur du livre Qui vivra par le like périra par le like, un témoignage au tribunal des médias sociaux.

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