Une catastrophe (presque) parfaite

--- 7 avril 2023

L'important, c'est de participer

(Ce texte est la suite de ce billet qui racontait comment je me suis accidentellement retrouvé à coacher une équipe de hockey mineur au cours des derniers mois.)

Le jour de notre ultime match de la saison, nous nous sommes présentés à l’aréna avec une fiche parfaite: 25 matchs, 25 défaites. 

Au niveau novice, comme tout le monde le sait, on ne compte pas (officiellement) les points et on n’enregistre pas (officiellement) les victoires et les défaites. Mais on ne peut pas empêcher les jeunes de suivre le pointage (sans parler de leur fiche personnelle) et il arrive même parfois que les coachs aient aussi une vague idée du score final.

Or, depuis quelque temps déjà, il était assez clair que nous étions fort probablement la pire équipe de la (pire) division. 

Mais le moral était bon. À quelques heures de notre dernière partie, et même si un de nos meilleurs joueurs manquait à l’appel, l’atmosphère était festive. Nous avions organisé un lunch d’équipe pour remettre à chaque enfant un trophée – de participation, bien sûr, puisque c’est l’important – et les jeunes étaient gonflés à bloc. Trophée en main (le groupe était divisé entre ceux qui croyaient qu’il s’agissait d’or massif et ceux qui en doutaient), le ventre plein et les poches remplies de bonbons volés au Eggspectation local, certains de nos joueurs rêvaient même d’une victoire.

On pourrait croire que ces espoirs étaient farfelus. Mais il fallait bien reconnaître qu’au fil de nos innombrables défaites, l’équipe s’était améliorée. 

Certains joueurs qui n’avaient jamais patiné de leur vie en septembre étaient désormais capables de suivre le jeu et de participer de manière à peu près utile quand la rondelle se retrouvait près d’eux. Notre seule joueuse, toujours bien positionnée, efficace et souriante (avec plusieurs dents manquantes) a connu une séquence remarquable de plusieurs matchs avec un but. Après quelques semaines de rotation incertaine devant le filet, notre plus petit gardien (appelons-le Vladislav), jadis paralysé par des jambières immensément trop grandes pour lui, s’est trouvé un équipement à sa taille et a fait des miracles en deuxième moitié de saison. Notre autre gardien s’est finalement avéré un attaquant efficace et énergique, qui serait encore plus redoutable s’il savait freiner. Notre plus petit joueur – une fusée sur patins, avec un bon instinct défensif – a plusieurs fois sauvé la mise avec des sorties de zone opportunes, surtout quand il a arrêté de renvoyer la rondelle devant notre filet. Deux autres joueurs ont progressé de manière remarquable – un dans son coup de patin, l’autre dans son maniement de la rondelle – au point où nous avions presque un premier trio digne de ce nom à la fin de la saison.

Mon fils (Jaromir) complétait l’alignement. Il n’avait jamais joué au hockey de sa vie avant cette année, mais il a progressé rapidement cet automne, au point de devenir un de nos meilleurs joueurs, mobile, opportuniste et avec un bon sens du jeu. 

Le hic, c’est qu’après s’être fait complimenter par son père/coach, les parents de ses coéquipiers, sa mère, ses oncles, son grand frère, sa voisine, sa grand-maman, mamie, papi et papou, Jaromir a fini par croire qu’il était un prodige. Avec comme résultat que, pour quelques matchs – jusqu’à ce que son coach réalise ce qui se passait – il a essentiellement cessé de se forcer. À 8 ans, il avait atteint l’apogée du hockey. Il passait les matchs à patiner nonchalamment, loin du jeu, le bâton mollement tenu à une main, en attendant l’occasion de récupérer une rondelle libre et de marquer sans effort. Il faisait bien quelques stepettes sur glace pour impressionner grand-maman quand elle était dans les gradins, mais, le reste du temps, il était passé de joueur d’impact à figurant.

Je vivais la première crise existentielle de ma carrière de père/coach. Avais-je élevé un fainéant? Comment expliquer cette paresse de flanc-mou? Étais-je coupable de complaisance excessive face à une amorce de médiocrité? Quel homme étais-je pour avoir engendré un enfant qui ne donnait plus son 110%? Le temps était-il venu de faire comprendre à mes joueurs – et à mon fils en particulier – que leur avenir personnel et professionnel se jouait à chaque présence sur la glace, et que j’exigeais d’eux un sacrifice total pour la victoire? J’en ai presque fait de l’insomnie. 

Et puis, à la mi-mars, au terme d’une pratique particulièrement molle, j’ai finalement demandé à Jaromir où était passé son mojo. Avait-il perdu sa motivation, lui qui était si enthousiaste en septembre? Il m’a répondu que non, qu’il n’avait pas vraiment réalisé qu’il ne se forçait plus, mais que quand il faisait plus d’efforts, il avait les cheveux mouillés après les pratiques et les matchs. 

Je lui ai alors expliqué qu’un des principaux objectifs du hockey, c’est d’avoir les cheveux mouillés après les pratiques et les matchs, et que sa mère et moi n’allions pas payer des centaines de dollars (et scrapper nos weekends) pour le réinscrire au hockey l’an prochain s’il rentrait au vestiaire avec les cheveux secs. Il a compris et s’est remis à jouer. Nous perdions toujours nos matchs, mais c’était moins gênant.

Entre autres (multiples) enjeux, nos défaites s’expliquaient aussi en raison d’un principe scientifique immuable du hockey mineur: les joueurs des autres équipes s’améliorent aussi. 

Vous vous souvenez de ce jeune joueur d’origine française – appelons-le Pavel – qui, lors de la première pratique de la saison, alors qu’il était arrivé sans bas, avec ses protège-coudes par-dessus son chandail, en tenant à peine sur ses patins, m’avait affirmé, le regard épouvanté, qu’il était bon en roller-hockey?

Et bien il ne mentait pas, le petit maudit. En quelques mois, ce jeune roller-hockeyeur français était passé de catastrophe ambulante à joueur dominant: habile, fort, rapide et énergique. Dans un match contre lui et son équipe, en février, il a marqué six buts contre nous. Il est même venu me voir, en plein match, avec les yeux pétillants de satisfaction narquoise, pour “s’excuser d’avoir marqué six buts”. (J’ai beaucoup ri.)

Et justement, notre ultime match de la saison était contre Pavel et son équipe, coachée par deux mères très sympathiques. Ils nous avaient bien ramassés plus tôt dans la saison. Notre honneur était en jeu. C’était un peu, pour nous, le choc des titans, dans le fond de la cave du hockey novice. 

Nous étions prêts. Nous avions un alignement presque complet de huit joueurs en uniforme. Vladislav avait un équipement à sa taille et sa mère le regardait dans les gradins avec un gardien de but en chocolat pour le récompenser pour sa belle saison. Plusieurs autres parents étaient présents, intrigués de voir si nous allions conserver notre fiche parfaite jusqu’à la fin. Il faudrait surveiller Pavel de près, mais au moins Jaromir s’était remis à patiner. Nous étions (irrationnellement) confiants.  

Le match a bien débuté avec plusieurs arrêts inespérés de Vladislav, qui a finalement cédé sur un tir effectué par un des rares joueurs de la ligue capable de lever la rondelle. Aucune chance. C’était 1-0 pour l’autre équipe (apparemment, puisqu’il n’y a pas de pointage au niveau novice). Mais nous sentions que nous étions dans le match. Mon assistant-coach Louis et moi nous époumonions sur le banc pour encourager nos joueurs: Lâche pas! Devant le but! On revient en défense! Good job! On garde les yeux sur la rondelle! 

Et puis, enfin, un but. Notre ex-gardien-devenu-joueur marque sur un bon lancer et crée l’égalité. Ça hurle sur le banc et sur la glace. Notre rêve est toujours vivant. Quelques minutes plus tard, toutefois, c’est la douche froide. Après un beau jeu de passes (volontaires ou non), le sacré Pavel marque. 

Notre fragile confiance est ébranlée. Nous sommes au milieu de la deuxième (et dernière) période. Pourrons-nous remonter un déficit d’un but avec 10 minutes à faire dans notre saison? 

La tension est palpable sur le banc. Les rotations se poursuivent. Nos joueurs jouent avec intensité. Vladislav sauve la mise à plusieurs reprises. Jaromir est partout, en défense, en attaque, en échappée – mais il ne marque pas. Jusqu’à ce que, finalement, sur un retour de lancer, notre ex-gardien-devenu-joueur marque son deuxième du match. C’est l’égalité, avec quelques minutes à faire à la partie.

À partir de ce moment, alors que nos joueurs résistent vaillamment aux assauts de Pavel et ses coéquipiers, Louis et moi gardons un oeil sur le banc et l’autre sur le décompte des secondes qui restent au match… 37… 36… 35… 34… 33… 32 … les plus longues de ma carrière de coach. 

Et c’est terminé!! 

Heureux et fiers, nos joueurs s’élancent sur la glace pour la poignée de main finale (au cours de laquelle l’autre équipe prétend qu’ils ont gagné). Puis nous retraitons au vestiaire, légers, souriants et les cheveux mouillés. Satisfaits, au fond de nos cœurs d’enfants et de pères, d’une victoire extraordinaire de 2 à 2 à notre dernier match de la saison. 


Jérôme Lussier s’intéresse aux enjeux sociaux, politiques et économiques. Juriste, journaliste et idéaliste, il a tenu un blogue au VOIR et à L'Actualité et a occupé divers postes en stratégie et en politiques publiques, incluant à l'Assemblée nationale du Québec, à la Caisse de dépôt et à l'Institut du Québec. Il travaille actuellement comme directeur des affaires parlementaires au Sénat.

Lire tous les articles de Jérôme Lussier