Lire Mathieu Bock-Côté : Régime diversitaire, totalitarisme et quelques questions de méthode (deuxième partie)
Au risque de dire une évidence, choisir de cacher des informations, c’est interdire qu’on puisse les voir.
« On n’avait pas le temps de lire Karl Marx. On travaillait. »
– Duplessis (Jean Lapointe) dans Duplessis, Denys Arcand, 1978
Aux lecteurs et lectrices qui s’apprêtent à lire ce texte, en plus de vous souhaiter la bienvenue, je dois vous avertir que cet article est le second d’une série de trois. Le premier se trouve ici, au bout de ce lien. Avant d’aller plus loin, je vous invite à le lire pour mieux comprendre ma démarche et mes intentions. Vous pourrez ensuite lire la troisième et dernière partie par ici. Il y a quelques semaines, je me suis donné comme projet de lire le plus récent essai de Mathieu Bock-Côté, Le totalitarisme sans le goulag. Au fur et à mesure que mon travail avançait, mes notes de lecture s’accumulaient. Il s’agissait moins d’idées porteuses que je désirais retenir que de questions sans réponses que je souhaitais élucider. C’est de cette quête de compréhension que j’ai souhaité rendre compte. Dans ce deuxième volet de mon aventure, je vous raconte par quel chemin j’ai dû passer pour comprendre l’interprétation qu’il propose de deux événements afin de démontrer que ce qu’il appelle le «régime diversitaire » dévoile sa « tentation totalitaire ».
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« C’est au nom de la lutte contre l’extrême-droite que prend forme le totalitarisme nouveau. » C’est ainsi que Mathieu Bock-Côté résume « la thèse contre-intuitive » qu’il se propose de démontrer dans son essai Le totalitarisme sans le goulag, paru à l’automne 2023.
Pour le chroniqueur polémiste, les sociétés occidentales ont bien compris les leçons de l’histoire que nous ont servies les régimes nazis et fascistes du XXe siècle. Ces idéologies, qu’on peut bien classer dans la case de l’extrême-droite, ne sont plus à craindre et l’appellation elle-même devrait être, de fait, considérée comme périmée. Il ne resterait de ces dernières que des reliquats, des proto-mouvements marginaux et autres néonazis sans grande influence.
« Ce n’est pas “l’extrême-droite”, entité politique fantomatique et catégorie indéfinissable, qui menace notre démocratie », nous prévient-il. Notre époque serait plutôt contaminée par l’antifascisme tout droit sorti des années 30, « théorisé par Staline à la manière d’une arme de guerre contre tous les contradicteurs du communisme. »
Il n’est donc plus question pour Mathieu Bock-Côté de se limiter à dénoncer à la pièce les quelques égarements du wokisme qui ont fait les manchettes depuis quelques années. Ce serait être en retard sur l’histoire qui s’écrit sous nos yeux. « Le phénomène, nous explique-t-il, a pris de l’ampleur et a muté. Le wokisme était l’avant-garde du régime diversitaire en voie de radicalisation. La logique du totalitarisme n’est plus le fait de groupuscules conquérants : elle a pénétré la structure institutionnelle des sociétés démocratiques. »
Ce régime diversitaire n’a toutefois plus besoin du goulag pour faire taire ses opposants, comme le faisait son ancêtre stalinien. Le système médiatico-politique se charge désormais de mettre hors d’état de nuire ceux et celles qui refusent de se soumettre au mode de pensée imposé par la gauche, et ce, sur tous les sujets de réflexion qui traversent nos débats de société. Qu’il s’agisse de climat, d’immigration, d’écologie, des drag queens, de multiculturalisme, de théories des genres, de discrimination systémique, de la « doctrine équité, diversité, inclusion » et tant de choses encore, dès que vous vous éloignez de la liturgie diversitaire, on vous enfermera dans la case de l’extrême droite de laquelle vous ne pourrez plus sortir.
Je ne crois pas simplifier à outrance le propos de Mathieu Bock-Côté en disant que ces quelques considérations permettent de saisir l’essentiel de la théorie qu’il se propose de démontrer et qu’il résume en ces termes :
« Ce que le régime rejette fondamentalement, il l’appelle extrême-droite. Tel est le nom qu’il donne au mal politique. Dès lors qu’un discours lui devient franchement insupportable, il l’y assimile, et justifie dès lors l’utilisation des grands moyens pour l’expulser du champ de la respectabilité sociale, médiatique et politique. Je nommerai extrême-droitisation cette technique singulière de verrouillage du débat public consistant à ramener à l’extrême-droite toute forme de désaccord substantiel avec le régime diversitaire. La seule existence avérée de l’extrême-droite est dans le discours de ceux qui prétendent la combattre et qui modifient sans cesse sa définition en fonction de l’ennemi du moment, généralement ceux qui résistent aux nouvelles étapes du “progrès” portées par le régime diversitaire. » (Le totalitarisme sans le goulag, p.35)
Pour fins de synthèse et de discussion, nous pouvons dégager les trois idées suivantes qui forment en quelque sorte le squelette argumentaire de son essai.
1) La notion d’extrême droite n’a plus, de nos jours, aucune consistance objective.
2) Il s’agit uniquement d’une arme rhétorique que les agents du régime diversitaire utilisent afin de réduire au silence ses opposants, les chassant ainsi de l’espace public comme on envoyait naguère au goulag les opposants au régime communiste.
3) C’est en cela que ce régime est totalitaire. Il ne supporte pas la contradiction et impose une forme de contrôle de la pensée, notamment grâce au système médiatique qui ne cesse de nier le réel en fabriquant des récits conformes à l’idéologie diversitaire tout en persécutant ceux qui n’y souscrivent pas.
Dans un premier temps, je vais me concentrer sur ce troisième élément, à l’aide d’exemples concrets que Mathieu Bock-Côté a lui-même identifiés comme étant particulièrement significatifs afin d’illustrer ce qu’il appelle « l’institutionnalisation du mensonge dans la démocratie libérale, à travers laquelle se dévoile explicitement sa tentation totalitaire. »
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AFFAIRE LOLA – SUR LA RÉCUPÉRATION POLITIQUE DU FAITS DIVERS
14 octobre 2022. Le corps mutilé d’une enfant de 12 ans, Lola Daviet, est découvert dans une malle près de l’immeuble où elle habitait dans le 19e arrondissement de Paris. C’est le début de ce qu’il convient désormais d’appeler l’affaire Lola qui fera grand bruit et qui continue de faire les manchettes depuis. Dahbia Benkired, 24 ans, est vite identifiée comme étant la principale suspecte. Arrêtée trois jours plus tard, on découvre qu’elle est de nationalité algérienne, qu’elle est en situation irrégulière en France depuis 2019 et qu’elle faisait depuis peu l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Sans surprise, cette histoire effroyable a bouleversé la société française et a vite donné lieu à un débat enflammé au sein de la classe politique, certains politiciens voyant dans ce drame l’illustration parfaite de l’incapacité de l’État à contrôler les flux migratoires. À la page 108 de son essai, Mathieu Bock-Côté s’épanche longuement sur cette affaire dans laquelle « l’accusation de récupération » aurait été utilisée par le système médiatique pour inverser l’histoire et tuer dans l’œuf toute réflexion contradictoire à l’idéologie diversitaire.
« Que faire, (…) devant des événements si atroces qu’ils frappent l’imagination et ne peuvent plus être balayés sous le tapis ou traités comme autant de détails sans signification politique ? L’histoire du martyre de Lola, âgée de douze ans, vite surnommée la petite Lola, en octobre 2022, a secoué profondément les esprits, tellement il touchait les cimes de l’horreur. Le concept de fait divers semblait inadéquat, même si on prenait la peine d’ajouter qu’il était atroce, pour marquer son caractère exceptionnel, plongeant au cœur du mystère du mal. Son caractère empêchait d’y voir aussi une manifestation parmi d’autres, quoique extrême, de la délinquance qui a transformé l’insécurité généralisée en fait de société. Cela n’aurait pas dû interdire de réfléchir aux dimensions sociologiques et collectives de ce drame, notamment lorsqu’on a constaté que la meurtrière présumée avait reçu une Obligation de quitter le territoire français. Très vite, toutefois, cette réflexion fut interdite, sous prétexte d’empêcher toute « récupération » politique — l’expression s’est imposée comme la nouvelle formulation du « pas d’amalgame » suite aux attentats de 2015. Le concept de récupération sert à dénoncer de manière préventive toute volonté d’examiner la signification politique de certains « faits divers » et de quelle manière ils nous interpellent plus largement. Qui a voulu, à ce moment, jouir de son appartenance au consensus médiatique devait impérativement dénoncer les « récupérateurs », en se réclamant de la « dignité » et de la « pudeur ». Les « récupérateurs » sans vergogne furent associés, sans surprise, à l’« extrême-droite ».
Cette histoire, qui a secoué les consciences, a montré à quel point le régime diversitaire étend sans cesse sa capacité à retraduire intégralement dans sa logique les événements qui pourraient le fragiliser. En une semaine, l’histoire principale s’est inversée. Elle concernait d’abord Lola, elle en vint à concerner finalement cette puissance malveillante que serait le populisme identitaire, discours de hyène faisant scandale de tout malheur pour abattre la République. Quant à l’accusation de récupération, n’est-elle pas l’autre nom d’un monopole revendiqué par la plus grande part du système médiatique sur l’interprétation légitime des phénomènes sociaux ? La capacité de reprise en main du discours médiatique par le régime pour faitdiversifier un fait qui risquait de se politiser est indéniable. On l’a vu quand France 5, une chaîne du service public, a produit un documentaire pour rétablir ce qu’elle jugeait être la véritable signification de l’affaire Lola. Ce documentaire a ainsi présenté le meurtre de Lola comme un « crime atroce qui aurait pu, qui aurait dû rester un terrible fait divers », représentant un « triste modèle mais un modèle parfait de manipulation et de récupération politique ».
L’affaire Lola aurait « réveillé le fantasme d’une immigration incontrôlée et meurtrière » — or le documentaire fera tout ce qu’il peut pour expliquer que l’immigration n’est pas incontrôlée et que la France ne connaît pas de changement de population. Mais ce fantasme ne se réactiverait pas de lui-même. Il serait le fruit « d’une armée numérique d’extrême droite, la fachosphère [qui] a réussi à s’emparer de ce meurtre pour imposer son idéologie et des théories conspirationnistes dans le débat public ». En d’autres circonstances, on pourrait assimiler une telle présentation des faits à du complotisme. Tout convergeait dans ce documentaire pour imposer une thèse centrale : le fait que la meurtrière présumée ait été en situation irrégulière, sous OQTF, était une information non pertinente et éclipserait même le fond de l’affaire. Mais il y avait à travers cela un étonnant aveu : si ceux qu’on assimile à « l’extrême droite » ne s’étaient pas emparés de l’affaire Lola, elle serait demeurée à la périphérie de l’actualité. »
(Le totalitarisme sans le goulag, pp.108-110)
Ces remarques proposées par Mathieu Bock-Côté, supposées nous faire comprendre en quoi consiste « l’accusation de récupération » brandie par le « système médiatique » pour faire taire toute forme de réflexion allant au-delà des faits divers, occultent complètement la tournure des événements qui se sont produits à la suite de ce drame.
En effet, dans les quelques jours qui suivirent l’assassinat de Lola Daviet, Samuel Lafont, en charge du numérique pour le parti Reconquête d’Eric Zemmour, s’est empressé d’enregistrer trois noms de domaines web, par le biais de l’association Les amis d’Eric Zemmour, afin d’héberger des sites internet : manifestationpourlola.fr, manifpourlola.fr et justicepourlola.fr.
Dans la foulée, ce même Lafont, suivi par des militants et stratèges de Reconquête tels que Damien Rieu, ont commencé à brandir les hashtags #lola et #manifpourlola, en encourageant les internautes à les utiliser massivement pour signifier leur indignation. L’objectif d’une telle stratégie est de positionner les mots-clés au sommet du palmarès dans les tendances du moment.
Lafont et Rieu, les deux « pistoleros numériques de Zemmour » comme on les présentait dans Valeurs Actuelles, cherchaient manifestement à tirer profit de la stupeur causée par cet homicide sordide, et ce, sous prétexte de rendre hommage à la fillette. La tactique numérique est bien connue: elle consiste à susciter l’adhésion spontanée sur les médias sociaux en captant pour son propre compte des événements publics d’une grande intensité émotive. Le trafic et les données ainsi dirigés vers soi sont ensuite d’une grande utilité dans la mobilisation politique. Ainsi, la diffusion du même message de Samuel Lafont, publié et republié des milliers de fois sur Twitter, avec les mêmes mots-clés, invitait les internautes à signer en toute urgence une pétition en remplissant un formulaire qui, en même temps, les inscrivait par défaut à l’infolettre de l’association.
L’occasion était belle pour imposer dans cette marée de messages des éléments du vocabulaire propre au champ de bataille sémantique de Reconquête, en insistant sur la notion de francocide, néologisme qu’Éric Zemmour commençait alors à utiliser dans ses prises de parole pour désigner le meurtre d’un Français par un étranger. Les hashtags au nom de Lola sont ainsi devenus des supports d’une théorie politique permettant d’expliquer les causes du meurtre, même si, au moment où tout ce tohu-bohu numérique se déployait, ni le motif, ni les circonstances, ni la séquence des événements n’étaient connus. Qu’importe, pour ces influenceurs idéologiques, la cause était entendue: la fillette avait été choisie par sa meurtrière algérienne spécifiquement parce qu’elle était française, blonde aux yeux bleus, et l’événement devait être compris dans le cadre politique et historique du « grand remplacement », comme l’expliquait Eric Zemmour lui-même.
Qui donc, au premier chef, a dénoncé cette forme de récupération ? Qui a initié ce que Mathieu Bock-Côté dénonce comme une « retraduction intégrale des événements » par le régime diversitaire, preuve que nous vivons dans un régime totalitaire ?
Ce sont les parents de la jeune fille eux-mêmes. Qui, dans un communiqué, ont demandé que « cesse instamment, et soit retirée, toute utilisation du nom et de l’image de leur enfant à des fins politiques ».
C’est d’ailleurs suivant cet appel que Samuel Lafont a finalement résilié les noms de domaines.
Il n’y a aucun doute ni aucune ambiguïté à ce sujet : le nom de la petite Lola, son visage, sa fin tragique ont bel et bien été récupérés pour des fins de marketing politique par Eric Zemmour et les stratèges politiques de Reconquête.
On peut même aller plus loin: il ne s’agit pas simplement de récupération, mais plus justement d’appropriation de la figure de la jeune fille pour en faire un slogan, une affiche. Ce parti politique a usurpé son identité pour en faire une marque de commerce et mettre en marché ses idées politiques.
À moins de confondre agitation publique et analyse sociologique, ce genre d’opportunisme n’est en rien une invitation – comme se l’imagine Mathieu Bock-Côté – à « réfléchir aux dimensions sociologiques et collectives » d’un tel drame. Il n’était pas question, pour les protagonistes qui ont pris part à ce branle-bas de combat, de chercher à formuler une « interprétation légitime des phénomènes sociaux », ni non plus « d’examiner » quoi que ce soit. Tout ce tapage entourant ce drame, fruit de l’excitation de quelques politiciens intéressés, visait au contraire à susciter l’adhésion spontanée en plaquant, dans une urgence qui ne permet aucune forme de recul, un discours préfabriqué sur des événements à peine terminés.
C’est ainsi qu’apparaît, dans le cosmos des idées échafaudées par Mathieu Bock-Côté, un immense trou noir dans lequel on se trouve aspiré. Il dénonce le fait qu’on aurait étiqueté les protagonistes de cette récupération d’extrême droite – à tort selon lui – mais à aucun moment il ne juge nécessaire de nous présenter le phénomène observable, pourtant largement documenté, qu’on a ainsi qualifié.
On peut bien tenter de nous convaincre que Reconquête, Eric Zemmour, Samuel Lafont et Damien Rieu sont injustement qualifiés d’extrême-droitistes par leurs opposants. Mais on ne peut pas dire qu’ils n’ont pas fait ce qu’ils ont fait. Encore moins laisser entendre que leurs actes procèdent de la décence politique la plus élémentaire, voire de la saine résistance à la tyrannie.
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CHAOS AU STADE DE FRANCE – SUR LA RÉCUPÉRATION POLITIQUE DU FAIT DIVERS
28 mai 2022. Le Stade de France accueille la finale de la Ligue des champions entre Liverpool et le Real Madrid à Saint-Denis, banlieue nord de Paris. L’événement sportif sera entaché par des émeutes et de nombreux incidents violents aux abords du stade.
Comme c’est souvent le cas, le chaos devient vite politique. Tandis que la police judiciaire suivait la piste d’une fraude massive de faux billets ayant saturé les dispositifs de contrôle et de sécurité, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’enfonçait dans des explications douteuses selon lesquelles les emportement auraient été le fait de hooligans venus encourager l’équipe anglaise. Ce récit mensonger, que personne n’a cru, d’ailleurs, n’était qu’un faux-fuyant servant à dissimuler la gestion catastrophique des organisateurs et des forces de l’ordre, ce qui fut confirmé quelques mois plus tard par un rapport indépendant pointant le fait que les autorités n’avaient pas su prévoir ni contenir les violences systématiquement commises par des bandes de délinquants à l’encontre des supporteurs étrangers.
Ces événements, comme on peut s’en douter, ont aussi donné lieu à de nombreux commentaires et discussions sur l’origine de cette délinquance et les tensions intercommunautaires. Déjà à l’époque, en commentant l’affaire sur Cnews et Europe 1, Mathieu Bock-Côté déplorait cette « institutionnalisation du mensonge » en insistant sur le fait que le récit trompeur de Gérald Darmanin n’avait pas uniquement pour but de dissimuler la gestion calamiteuse des services d’ordre dont il a la garde, mais aussi, surtout, de voiler l’échec des politiques d’intégration françaises.
Dans son essai, il reprend cette même réflexion. Je le cite :
« Nulle surprise, à bien des égards : ces événements se présentaient comme le miroir grossissant d’une nouvelle banalité française, dans les quartiers se soustrayant tout à la fois à la souveraineté nationale et aux mœurs françaises. Autrement dit, ce n’était pas à travers les catégories de la délinquance ordinaire qu’il était possible de comprendre ce phénomène. Ce retour brutal du réel n’a pas empêché le pouvoir de s’entêter dans le déni, et plus exactement, de passer du déni au mensonge, en affirmant dans un premier temps que les violences étaient le fait de “supporters britanniques” et d’un simple problème de faux billets, autrement dit, d’un problème d’organisation, et d’accuser ensuite ceux qui rectifiaient les faits de pratiquer une “essentialisation de la délinquance en évoquant des nationalités, et en mettant en pâture des liens très nauséabonds”. Le simple fait de mentionner le changement démographique de la Seine–Saint-Denis était jugé condamnable par les autorités : “Quand vous dites que la Seine–Saint-Denis et la France ont changé, vous faites le jeu de partis assez extrêmes. J’ai le droit d’être choqué par ce point et je n’ai pas à donner des nationalités — on m’a forcé à le faire pour lutter contre des fake news — des personnes que nous interpellons.” (1) Certains firent remarquer que le pouvoir avait moins de réserves à mentionner l’origine ou la nationalité des délinquants lorsqu’il les croyait “britanniques”.
Plus le récit du vivre-ensemble diversitaire se fracture au quotidien, plus il doit se maintenir de force, en condamnant à la vindicte publique ceux qui osent rappeler que la réalité existe. Le commun des mortels, qui a pourtant vu ce qu’il a vu, se demande dès lors, avec un mélange de perplexité et de colère, à quel rythme on lui ment aussi ouvertement, et aussi effrontément. C’est la question du mensonge et plus encore, de son institutionnalisation comme mode de gestion du régime diversitaire, qui a alors percé. » (Le totalitarisme sans le goulag, p.98)
Ces propos, qui se limitent à répéter pour l’essentiel ce qu’il disait sous forme de chronique en 2022, font l’économie de plusieurs éléments qui entrent en contradiction avec sa théorie fondée sur la « tentation totalitaire » des démocraties libérales.
La note (1) dans le premier paragraphe de ce passage, à la suite de propos cités sans que leur auteur ou le contexte ne soient précisés, renvoie à l’audition de Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur français, devant le Sénat, quatre jours après les événements. Ce dernier répondait aux questions et commentaires de la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio qui s’exprimait en ces termes:
« Grâce à ce que tout le monde appelle le fiasco de samedi soir, le monde entier a pu découvrir que la Seine–Saint-Denis n’était pas la Californie sans la mer, contrairement à ce que disait le président de la République récemment, et moi je ne me réjouis pas de ces images qui, à travers le monde, ont donné une image de la France extrêmement détériorée, je pense que personne ne s’en réjouit. Le Stade de France a ouvert fin 1998 et la France, elle a changé depuis la fin 98. (…) Pourquoi un tel déni de votre part de ce qui s’est réellement passé ? Pourquoi ne pas mettre les bons mots derrière ce qui s’est passé. Pourquoi ne pas dénoncer la réalité de ce qui s’est passé ? Et enfin, je termine, aux vues des images qui nous ont tous atterrés samedi, parce que ça ne réjouit personne, je me pose une question, monsieur le ministre : avez-vous renoncé à restaurer l’ordre public partout dans notre pays ? »
– Audition de Gérald Darmanin, intervention de Jacqueline Eustache-Brinio
Cette mise en contexte est nécessaire. Cet échange se déroulait dans le cadre de la commission des lois et de la culture du Sénat. Il était mené par une sénatrice – bien connue pour ses positions radicalement contraires avec ce qu’on pourrait appeler l’idéologie diversitaire – membre du groupe majoritaire Les Républicains. Selon elle, le ministre de l’Intérieur, en ne tenant pas compte du fait que la France s’est détériorée au cours des 25 dernières années, était dans le déni et refusait de nommer la réalité.
C’est donc cette sénatrice qui évoque « le changement démographique de la Seine–Saint-Denis » dont parle Mathieu Bock-Côté, sans prendre la peine de la nommer ni de la situer dans l’enceinte où elle prend la parole au lendemain des événements.
Une fois ces précisions apportées, il n’y a ici aucun doute possible : nous sommes bel et bien en régime parlementaire, dans le cadre d’une instance démocratique où ces questions peuvent être posées et débattues. Comment, alors, peut-on affirmer que « Le simple fait de mentionner le changement démographique de la Seine–Saint-Denis était jugé condamnable par les autorités », alors que c’est au sein même du Sénat que cette question était posée ?
On voit mal aussi comment « le récit du vivre-ensemble diversitaire » tentait ainsi de se « maintenir de force », alors que, quelques semaines plus tard, le Sénat publiait les résultats de son enquête et ses recommandations en concluant que les mensonges du ministre de l’Intérieur ne servaient qu’à dissimuler « l’incapacité de l’État à gérer adéquatement la foule présente et à juguler l’action de plusieurs centaines de délinquants violents et coordonnés. »
De toute évidence, on est bien loin d’un régime totalitaire qui, c’est bien connu, tolère mal ce genre de critiques. Pour peu qu’on l’observe dans son ensemble, ce que cette histoire permet de constater, c’est qu’au sein même des institutions, les mensonges politiques de certains élus chargés de pouvoir peuvent être démentis, notamment grâce au travail de la presse et des médias qui n’ont cessé de remettre en question le récit abracadabrant du ministre de l’Intérieur.
Mais poursuivons notre lecture. Elle nous réserve quelques surprises étonnantes.
« Ce mensonge a atteint un stade supérieur lorsqu’on a appris quelques jours plus tard, à la stupéfaction générale, que les images de vidéosurveillance des agressions, et particulièrement les images les plus violentes, avaient été détruites, apparemment parce qu’elles n’avaient pas été réclamées — ce qui, en plus, était faux, car le Sénat, a-t-on appris par la suite, avait demandé aux autorités de réquisitionner ces images. L’explication officielle pour la destruction d’images était donc celle de l’incompétence. Le commun des mortels ne pouvait s’empêcher de se demander si ces images n’avaient pas été consciemment détruites. Et d’une explication technique de cette destruction d’images, on basculait vers une explication fondamentale : ce qui se dévoile ici, encore une fois, est non seulement la capacité du régime diversitaire à ne pas voir ce qui arrive, mais même à empêcher que le commun des mortels puisse le voir. Le régime diversitaire ne se contente plus de dissoudre le réel en produisant une confusion toujours reconduite entre le vrai et le faux à travers un récit falsifié de l’actualité, des événements, en déformant le sens des mots, en pratiquant le mensonge par omission. Il détruit désormais les preuves de la société dévastée qu’il engendre. » (Le totalitarisme sans le goulag, p.98)
Il y a, dans cette envolée de Mathieu Bock-Côté, plusieurs soucis de taille.
Les images des caméras du Stade de France, qui est un opérateur privé, ont bel et bien été effacées du système de sécurité. La raison de cette disparition est bien simple. Comme l’a expliqué à l’époque Erwan Le Prévost, directeur des affaires institutionnelles de la Fédération française de football, les images enregistrées sont systématiquement détruites au bout de sept jours, sauf si elles sont réquisitionnées par la justice. Les systèmes de vidéosurveillance sont régis en France par une loi visant à protéger la vie privée et qui oblige ceux qui utilisent de tels dispositifs à ne pas conserver les images au-delà de 30 jours.
Le Stade de France, où sont installées 220 caméras — ce qui représente un lot de données à stocker considérable — écrase automatiquement les enregistrements au bout de 7 jours. Cette limite est stipulée dans les contrats du stade selon lesquels, le « système de vidéoprotection placé sous le contrôle d’officiers de police judiciaire et susceptible d’être utilisé en cas de poursuites pénales » est limité par un « un droit d’accès prévu pendant les sept jours de conservation des images. »
Contrairement à ce qu’affirme Mathieu Bock-Côté, le Sénat n’a pas réquisitionné ces images dans les délais prévus. Lors de l’audition du ministre de l’Intérieur, il a été question de permettre aux sénateurs d’avoir accès aux images de la SNCF et de la préfecture de police qui, elles, avaient été conservées. Celles du Stade de France ont été réquisitionnées par la police judiciaire parisienne, mais trop tard, après qu’on eut appris qu’elles avaient été écrasées.
Évidemment, comme le précise le Sénat dans son rapport d’enquête, toutes ces histoires de vidéosurveillance laissent voir un immense cafouillage et il est recommandé qu’à l’avenir on impose aux opérateurs « la conservation des images captées le jour des grands événements sportifs pendant la durée légale d’un mois. »
Plus fondamentalement, il est utile de rappeler que les lois qui limitent l’usage qu’on peut faire des images de vidéosurveillance reposent sur le droit à la vie privée et les libertés individuelles. Il s’agit de restreindre la capacité de l’État et des sociétés privées de surveiller les individus. Or ce principe est, en son essence même, un rempart contre le… totalitarisme.
Certes, dans ce cas précis, le fait que les autorités judiciaires n’aient pas réquisitionnées ces images à temps, comme elles avaient le pouvoir de le faire, est une faute grave qui peut miner la confiance envers les institutions. Mais le fait qu’elles aient été effacées ne démontre d’aucune manière qu’un régime totalitaire « détruit désormais les preuves de la société dévastée qu’il engendre », comme Mathieu Bock-Côté tente de nous le faire croire.
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Je dois conclure cette première incursion au cœur de l’essai de Mathieu Bock-Côté, un exercice de lecture que je sais partiel. Je suis conscient qu’on pourra me reprocher d’avoir choisi deux éléments parmi la multitude d’événements qu’il évoque parce que j’aurais repéré, spécifiquement dans ceux-ci, des lacunes et des zones d’ombres.
Ce n’est pas le cas. Le récit de l’affaire Lola et les incidents au Stade de France, en raison de leur gravité, l’ampleur qu’ils ont pris dans l’actualité et la profondeur des traces qu’ils ont laissées dans les esprits, sont hautement significatifs pour ceux et celles qui souhaitent comprendre les dynamiques sociales de notre époque. Dans l’économie des faits qui ont marqué l’histoire récente, ils sont d’une grande valeur. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il les a lui-même sélectionnés.
J’ai lu et entendu à quelques reprises Mathieu Bock-Côté déplorer que les journalistes qui font un travail de vérification des faits ne désirent pas simplement apporter des corrections ou des précisions factuelles, mais qu’ils souhaitent plutôt interdire certaines interprétations des événements. C’est peut-être vrai dans certains cas, mais ce reproche est réversible : en omettant de considérer l’ensemble des éléments qui constituent les « faits divers », en les simplifiant à outrance, par choix, par intérêt, par conviction ou par incurie, on restreint considérablement le champ des interprétations possibles. C’est ce qu’on appelle une « vision en tunnel » en langage policier : un phénomène qui se produit lorsque les enquêteurs, tellement convaincus du bien-fondé de leurs soupçons premiers, écartent toute autre piste qui pourrait être fructueuse pour découvrir la vérité.
En tentant de tirer une signification de l’affaire Lola sans jamais mentionner les faits et gestes d’Éric Zemmour et de son équipe de communication, on empêche le lecteur d’observer une portion hautement significative des événements. C’est tout un pan des réalités sociales et politiques contemporaines qu’on choisit de masquer. Il devient alors d’une facilité désarmante de brosser le portrait sommaire d’un « système médiatique » qui aurait le monopole de l’interprétation, en occultant complètement le fait que des acteurs politiques (qu’il ne juge pas pertinent de présenter) jouent un rôle de premier plan dans ce système. Une autre omission pose un problème majeur. Comme on l’a vu, les parents de Lola Daviet ont eux-mêmes dénoncé la récupération politique du drame concernant leur enfant. Font-ils eux aussi partie du système médiatique? Sont-ils des agents d’un régime diversitaire totalitaire? Le mystère à ce sujet demeure entier.
De manière similaire, en omettant d’exposer en détail la tournure des discussions provoquées par les incidents au Stade de France, en recourant à des formules approximatives et des énoncés erronés pour rendre compte des débats au sein des instances politiques, c’est la forme même des institutions démocratiques qu’on voile. Certes, les mensonges et tergiversations du ministre Darmanin étaient insupportables et inadmissibles, comme le sont tous les mensonges de politiciens. Un débat a toutefois bel et bien été mené au cœur des institutions démocratiques, abondamment alimenté par l’ensemble des salles de presse qui, en toute liberté, ont cherché à rectifier les faits. Encore une fois, ce n’est qu’en masquant cette réalité que Mathieu Bock-Coté parvient à faire apparaître un régime d’apparence totalitaire.
Au risque de dire une évidence, choisir de cacher des informations, c’est interdire qu’on puisse les voir. Or, c’est justement ce que Mathieu Bock-Côté reproche à cet hypothétique « régime diversitaire » qui, selon lui, n’hésiterait pas à « dissoudre le réel en produisant une confusion toujours reconduite entre le vrai et le faux à travers un récit falsifié de l’actualité, des événements, en déformant le sens des mots, en pratiquant le mensonge par omission. »
C’est pourtant en recourant lui-même à de telles méthodes qu’il tente de nous convaincre de l’existence de ce régime totalitaire qu’il prétend combattre. C’est une bien étrange manière de mener une lutte au nom de la vérité et de la liberté.
Une question demeure en suspens, celle de la définition de l’extrême droite, que Mathieu Bock-Côté nous dit ne pas avoir trouvée, bien qu’il l’ait cherchée désespérément. C’est l’objet de la troisième et dernière partie de cet exercice de lecture que vous trouverez en suivant ce lien.
Simon Jodoin est auteur, chroniqueur et éditeur. Après des études en philosophie et en théologie à l’Université de Montréal, il a pris part à la réalisation de divers projets médiatiques et culturels, notamment à titre de rédacteur en chef du magazine culturel VOIR. Il est désormais éditeur de Tour du Québec et chroniqueur régulier au 15-18 sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première. Il est l'auteur du livre Qui vivra par le like périra par le like, un témoignage au tribunal des médias sociaux.
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Certes il y a beaucoup de faiblesses dans la réthorique globale de MBC, qui est avant tout un idéologue qui fait de la politique, plus qu’un sociologue. Cependant, vous passez vous aussi sous silence l’énorme pression qui a cours sur certains sujets dans la doxa médiatique. À la télévision et à la radio du service public en France, beaucoup de débats sont confisqués et Bock-Côté a raison de dire que beaucoup de points de vue valent à leurs défenseurs une opprobre expéditive et souvent définitive. Passer sous silence ce climat toxique n’est pas très honnête de votre part non plus. Par ailleurs, vos exemples soulèvent des points intéressants, mais ne sont pas tout à fait probants. S’il est vrai que les équipes de Zemmour ont tenté de récupérer l’histoire, ce que MBC a tort d’occulter, ce n’est pas eux non plus qui l’ont montée en épingle de toutes pièces. Pour avoir suivi l’histoire et les réactions sur les médias sociaux, celles-ci sont venues des faits eux-mêmes, sans filtre. La récupération zemmouriste s’est faite dans la foulée mais est restée anecdotique. Par ailleurs, vous ne parlez pas du reportage incriminé par MBC et qui traduit effectivement un contre-discours idéologique parfaitement téléguidé et peu scrupuleux. Dénoncer les raccourcis de MBC implique aussi de traiter ceux d’en face, ce que vous ne faites pas. Quant au passage sur Darmanin, l’empressement de celui-ci à propager une interprétation abracadabrante tout en étant extrêmement lent – alors qu’il est le chef de la police – à sécuriser la vidéosurveillance, est quand même un sujet et ce n’est pas parce qu’une députée LR lui a posé une question dans un cadre précis que cela amenuise cette tentative de manipulation éhontée d’un ministre de l’intérieur. Par ailleurs, ici aussi vous bottez en touche quant au débat de fond, qui est que le ministre Français le plus important a tenté de faire croire que les troubles venaient de supporters britanniques, alors qu’il s’agissait à l’évidence de jeunes voyous issus de l’immigration maghrébine, ce que tout le monde a pu constater le jour même sur les images de surveillance disponibles. Ne pas traiter cette partie de la question revient à faire de MBC une sorte de complet affabulateur. Or, malgré tout, même s’il manque de rigueur il traite néanmoins de réalités ou de contextes existants. Ne pas juger ceux-ci dans leur ensemble, même de manière succincte, fait de vous aussi un hémiplégique qui trie les cartes en jeu.
Bonjour Madame Pelletier,
Merci pour votre commentaire. Je me permets une courte réponse.
D’abord, on peut bien dénoncer si on le souhaite la pression qui a cours sur certains sujets dans la doxa médiatique. Je suis même assez bien placé pour savoir de quoi il en retourne. Je profite de l’occasion pour vous inviter à parcourir les quelques articles que j’ai publié sur cette plateforme, vous y trouverez de nombreuses réflexions à ce sujet.
Pour ce qui est de la récupération de l’affaire Lola par Éric Zemmour, je n’y vois rien pour ma part d’anecdotique. On peut bien dire qu’ils n’étaient pas seuls, mais on ne peut pas ignorer cette forme de récupération. Par ailleurs, le documentaire de France 5 porté par Karim Rissouli racontait justement, en détail, cette récupération. Je comprends qu’on peut ne pas être d’accord avec les propos de tel ou tel intervenant, notamment lorsqu’il s’agit de remettre en question la théorie du grand remplacement, ou encore ne pas être satisfait par la réduction au « fait divers » qu’on y propose, mais les faits qui y sont rapportés sont avérés et largement documentés.
Concernant les incidents au Stade de France, loin de moi l’idée de dire que les tergiversations et mensonges du ministre de l’Intérieur ne sont pas un sujet dont il faut discuter, j’insiste d’ailleurs sur ce fait. On peut bien aussi proposer une analyse sociologique sur les problèmes d’intégrations qui peuvent être à l’origine des cas de délinquance et débattre de ces questions. Cela n’est pas interdit. Il reste, et c’est mon propos, qu’en tronquant les faits et en procédant avec des approximations et des énoncés erronés, on ne risque pas de s’approcher de la vérité et, surtout, on n’arrivera pas à me convaincre que tout cela a quelque chose à voir avec un régime totalitaire.
Bien à vous et au plaisir.
Simon Jodoin
Bonjour et merci de votre réponse. Vous avez compris que je ne vous reproche pas vos récriminations envers MBC, mais de négliger le contexte auquel il réagit. Karim Rissouli est le cas exemplaire de relais du gauchisme universitaire bien ancré dans le service public français depuis longtemps. Dans toutes les émissions qu’il a dirigé il a soigneusement orienté les débats. Cela ne rend pas son reportage exempt de vérités factuelles, mais l’accent qu’il y met à traduire l’événement Lola comme une pure montée en épingle zemmouriste, sans enjeu de fond, est un lourd parti-pris qui a justement ceci de problématique de jouer la carte de l’objectivité sans jamais inviter une altérité à s’y exprimer à la loyale. Je pense que votre réflexion aurait gagné à mettre cette roublardise également en relief, à côté des failles de MBC.
Je me demande si vous attaquez le travail de MBC sous le bon angle, celui de la vérité des faits.
Il existe en sociologie un concept qui s’appelle « type-idéal ». Il s’agit d’un grossissement des traits, une quasi caricature, qui permet de dégager d’une série de phénomènes les tendances d’une époque. Le célèbre sociologue allemand Max Weber a utilisé cette méthode pour l’analyse des sectes protestantes et ainsi dégagé les traits caractéristiques du capitalisme moderne (L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme). Weber était conscient que le protestant puritain qu’il décrivait n’existait pas dans la réalité, sinon il aurait été un monstre.
Je n’ai pas lu le dernier livre de MBC, mais dans sa réplique à Isabelle Hachey, qui elle aussi lui reproche de distordre un peu les faits, il répliquait qu’il cherchait les tendances d’une époque, non la précision des faits. C’est ce qu’il fait dans ses ouvrages antérieurs.
La question serait donc, MBC décrit-il une tendance réelle, fondamentale de nos sociétés : la liberté de parole serait en danger par l’effet d’une moralisation de la vie politique?
Ma réponse à moi serait oui, mais comme tous les radicaux MBC tend à confondre une tendance et un fait accompli.
Bonjour Joseph Yvon,
Merci pour votre commentaire et c’est un plaisir de vous lire.
Comme je l’écris en conclusion, il ne s’agit pas simplement de déterminer la vérité des faits évoqués, mais plutôt de se demander si, dans la mesure où certains faits ont été écartés, on ne réduit pas considérablement le champ des interprétations possibles.
L’exemple de l’affaire Lola est éloquent. Si on écarte le fait que les parents eux-mêmes ont dénoncé la récupération et la forme qu’a pris cette récupération par des acteurs politiques intéressés, on laisse de côté des matériaux essentiels pour dresser le portrait de cet éventuel « système médiatique ».
L’affaire du Stade de France, telle que rapportée dans l’ouvrage de MBC pose le même problème. Si on omet le fait que le discours officiel a donné lieu à un démenti catégorique des mensonges de Darmanin, ou encore si on ignore les règles régissant la vidéosurveillance visant à protéger la population d’une surveillance indue, l’hypothèse d’une tentation totalitaire d’un régime diversitaire s’amenuise considérablement.
La question devient donc celle-ci: est-ce qu’on construit un idéal-type avec des matériaux solides, exercice où on peut bien grossir le trait pour fin de démonstration, ou est-ce qu’on le bricole avec ce qu’on a sous la main?
Je n’ai aucun problème avec l’idée d’identifier des similitudes pour dégager de tendances et proposer des hypothèses. Ça nous engage toutefois, aussi, à considérer les différences qui remettent en question ces hypothèses, sans quoi ce qui relève de l’intuition devient une conclusion et, comme vous le dites, on confond ce faisant une tendance et un fait accompli.
Au plaisir et à bientôt.