Les voies du vieux fond catholique sont elles impénétrables?
Il est toujours difficile d’établir avec certitude la généalogie des idées et des croyances.
Ô abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles !
Épître aux Romains, 11 : 33, Bible de Jérusalem
C’est un bien curieux débat qui anime la province médiatique et numérique depuis quelques jours. Dans le Journal de Montréal, vendredi dernier, Mathieu Bock Côté nous proposait une très courte homélie intitulée « Éloge de notre vieux fond catholique ». Après tout, c’était le Vendredi saint. Pourquoi ne pas en profiter pour rappeler aux paroissiens que « le catholicisme a aussi engendré chez nous une culture de la solidarité qui nous distingue à l’échelle continentale » ?
« Ceux qui chantent les vertus de notre social-démocratie, demandait-il pour conclure, sont-ils conscients qu’elle serait probablement moins vigoureuse si elle ne s’appuyait sur l’éthique catholique de la solidarité, porteuse d’un fort sens du collectif?
“Non, non et non!” se sont offusqués en cœur les opposants habituels. Parmi eux, par exemple, Ludvic Moquin-Beaudry, lui aussi chroniqueur (et qui oeuvre à l’autre bout du spectre idéologique), a voulu lui donner une bonne leçon à l’aide d’un tweet proposant exactement le contraire: « En affirmant que le catholicisme serait à l’origine de notre social-démocratie, écrivait-il, Bock-Côté révèle toute la vacuité de son analyse sociohistorique: l’Église a retardé le développement de l’État-providence et les modèles de social-démocratie sont des pays… protestants. »
Je ne suis pas un grand expert des conditions favorables à l’implantation de la social-démocratie en Amérique et il me paraît toujours risqué d’évaluer à quelle vitesse se seraient produits des événements si l’histoire avait pris d’autres chemins. Par ailleurs, les discussions concernant la persistance et la mutation des idées et des croyances sont complexes et souvent pleines de contradictions.
Toutefois, pour m’être frotté assez longuement à la question de la sécularisation et de la récupération par le politique d’idées et de prérogatives dont les institutions religieuses avaient naguère la garde, je crois au moins pouvoir dire que de tenter de dégager ce terrain avec une chronique de 303 mots et une bagarre de tweets ne risque pas de donner lieu à un débat digne de ce nom. Pour l’heure, nous n’avons guère dépassé le stade du théâtre médiatico-politique où chacun joue son rôle.
Quelques idées me viennent en tête, en pensant au théâtre justement. Permettez-moi de m’égarer un petit moment.
Je ne sais pas si le TNM aurait vu le jour si Jean Gascon, Georges Groulx, Guy Hoffmann et Jean-Louis Roux n’avaient pas fait leurs classes au sein des Compagnons de saint Laurent, une troupe menée par Émile Legault, prêtre catholique de la Congrégation de Sainte-Croix qui était leur professeur au Collège Saint-Laurent, et où ils ont croisé Félix Leclerc et tant d’autres.
Ce giron catholique a donné lieu à des suites étonnantes. En 1978, Jean-Louis Roux, alors directeur du TNM, mettait à l’affiche Les fées ont soif de Denise Boucher, véritable charge féministe, anti-patriarcale et anti-cléricale qui fit scandale. « Les jeunes Canadiens pour une civilisation chrétienne », notamment, tenaient des manifestations et ont même obtenu une injonction pour faire annuler le spectacle (Eh oui! La culture de l’annulation n’a pas commencé avant-hier, comme on le croit trop souvent).
La suite est connue. Jean-Louis Roux refusa catégoriquement de céder et la pièce fut présentée. Est-ce que Roux avait hérité ses principes et son sens de l’engagement du prêtre Émile Legault, lui permettant de tenir tête aux moralistes de l’époque? Allez savoir.
Quelques années plus tôt, en face du TNM, on avait présenté pour la première fois à Montréal, à la Place des Arts, la pièce Charbonneau et le chef, de John Thomas McDonough, un ancien dominicain avec Jean Duceppe dans le rôle de Duplessis et Jean-Marie Lemieux dans le rôle de Monseigneur Charbonneau. D’abord créée au Trident, à Québec, en 1971, cette oeuvre met en lumière la prise de position de L’archevêque de Montréal en faveur des grévistes d’Asbestos lors du conflit de travail de 1949, au grand dam du premier ministre qui finira, plus tard, par avoir la tête du Monseigneur.
Je vous parle de cette pièce car ces grèves de l’amiante allaient permettre à bien des jeunes engagés pour la cause des ouvriers de se faire une réputation. Parmi eux, évidemment, il y avait Michel Chartrand.
Je ne sais quel genre d’homme aurait été Michel Chartrand sans son cheminement religieux, son désir de devenir moine cistercien à la Trappe d’Oka, et son engagement subséquent dans les mouvements de jeunesse catholiques, où il rencontra Simonne Monet. C’est cet engagement qui l’a mené aux luttes syndicales des grèves de l’amiante, avec la Confédération des travailleurs catholiques du Canada, qui deviendra plus tard la CSN.
C’est un fait connu: tout un pan du mouvement syndical québécois est sorti de la cuisse du catholicisme social, question de concurrencer les grandes centrales américaines, le socialisme et l’internationalisme.
Je résume sans doute à la scie à chaîne, mais il y avait peut-être chez Chartrand quelque chose qui relevait de la théologie de la libération. Chose certaine, il ne refusait pas le titre de chrétien humaniste. Pour la petite histoire, à la fin de sa vie, son dernier combat fut de militer pour le Rassemblement pour l’alternative progressiste. Ce parti n’existe plus aujourd’hui. Il a fusionné avec l’UFP en 2002, un parti qui se joindra plus tard à Option Citoyenne pour créer Québec Solidaire.
Des compagnons de Saint-Laurent à la pièce Les fées ont soif, des jeunesses catholiques à Québec Solidaire – les relations de cause à effet me semblent difficiles à identifier dans les sentiers tordus de l’histoire. On pourrait même dire que, coquin de sort, la religion catholique a peut-être permis l’émergence d’idées anticléricales, voire même d’une forme d’athéisme révolutionnaire. Il serait intéressant, par ailleurs, de discuter avec les gens du centre Justice et foi, qui publient depuis 1941 la revue Relations, des éventuels liens entre les Jésuites et la Révolution Tranquille. On trouverait là pas mal de matière à réflexion et d’autres idées étonnantes.
On pourrait sans doute trouver plusieurs autres exemples du genre pour alimenter une réflexion qui ne ferait que démontrer que l’histoire est toujours plus compliquée qu’il n’y paraît. Des collègues plus savants que moi pourront sans doute avancer sur ce terrain avec plus de justesse.
Il est toujours difficile d’établir avec certitude la généalogie des idées et des croyances. Ces chemins sont bourrés de pièges et d’idées parfois loufoques. Tout récemment, il s’en trouvait pour dire le plus sérieusement du monde que notre passé catholique pouvait expliquer l’admiration sans borne des Montréalais pour… Arcade Fire. Vous avez bien lu.
Le « vieux fond catholique » qui crée tant de causeries depuis quelques jours est encore plein de zones d’ombres, si bien qu’il est difficile d’y référer en quelques mots pour éclairer les temps présents. Inversement, ceux qui ne voient dans notre passé catholique rien d’autre qu’un frein au progrès social pourraient au moins prendre le temps de penser un peu avant de se fâcher.
Une chose me semble certaine, toutefois. Si j’étais premier ministre, le lundi de Pâques, je ne tweeterais pas. C’est un jour férié.
Simon Jodoin est auteur, chroniqueur et éditeur. Après des études en philosophie et en théologie à l’Université de Montréal, il a pris part à la réalisation de divers projets médiatiques et culturels, notamment à titre de rédacteur en chef du magazine culturel VOIR. Il est désormais éditeur de Tour du Québec et chroniqueur régulier au 15-18 sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première. Il est l'auteur du livre Qui vivra par le like périra par le like, un témoignage au tribunal des médias sociaux.
Avant de commenter ou de participer à la discussion, assurez-vous d'avoir lu et compris ces règles simples