Une histoire improbable: comment je suis devenu coach de hockey mineur

--- 13 janvier 2023

Ou comment se prendre au jeu en répondant à un courriel innocent

(Voir aussi la suite et fin de cette saga ici)

UN COURRIEL SUR LE BORD DE LA PISCINE

Le 17 août dernier, après quelques semaines de tergiversations, ma blonde et moi avons décidé d’inscrire notre fils de 7 ans (appelons-le Jaromir) au hockey. 

Jaromir était un patineur débutant qui n’avait jamais joué au hockey. Mais c’est un garçon actif et enthousiaste et deux de ses amis d’école l’incitaient à s’inscrire avec eux pour la saison. 

J’avais des réticences. Comme d’autres, j’entends depuis des années les histoires qui circulent à propos du hockey mineur. Le coût de l’équipement et des inscriptions. Les pratiques plusieurs fois par semaine. L’hypercompétitivité. Les parents déchaînés. Les matchs du dimanche à 8h du matin à l’autre bout de la ville. Embarquer dans le hockey donnait l’impression de s’engouffrer dans un tunnel militaire qui aspirerait la famille pour tout l’hiver. 

Mais Jaromir était excité à l’idée de jouer dans une vraie équipe. Et puis, les bras meurtris de Guy et de Maurice me tendaient le flambeau, j’entendais vaguement l’appel sportif de la Nation, et je ne voulais pas, en plus d’être un mauvais père, priver le Canadien d’un espoir potentiel. J’ai flanché. 

La date limite des inscriptions était quatre jours plus tard. Fiston jouerait dans la catégorie M9 (moins de 9 ans). On a réussi à envoyer le formulaire et les frais d’inscription (445$) le tout dernier jour, par téléphone, sur le bord de la piscine d’une amie qui nous avait invités pour la journée.

Jaromir n’avait pas d’équipement, on n’avait aucune idée de quand la saison commencerait, quels jours auraient lieu les pratiques et les matchs, ni à quelle fréquence, ni où. Mais on était embarqués

UNE ERREUR DE DÉBUTANT

Un mois plus tard, on a été informés que le « camp d’entraînement » commencerait le dimanche suivant, à 9h du matin. (Entre-temps, on avait réussi à trouver un équipement de hockey usagé pour 70$ sur la Rive-Sud.) Puis, trois jours avant cette première pratique, on reçoit un gentil courriel qui nous informe que le club a « besoin d’aide sur la glace pour le groupe de votre enfant ce week-end! » et qui demande aux parents volontaires de se manifester. 

Ici, quelques remarques s’imposent. Premièrement, je suis d’un naturel serviable. Ensuite, le courriel pouvait laisser croire que, sans aide, la première pratique de hockey à vie de Jaromir serait une catastrophe. Ne serait-il pas irresponsable de laisser son fils amorcer sa carrière sur une fausse note? Et finalement, oui, ça me tentait un peu d’enfiler mes patins. Je ne suis pas un grand hockeyeur mais je n’étais pas contre l’idée de profiter des pratiques de Jaromir pour me remettre (un peu) en forme. 

Alors j’ai répondu en disant que j’étais disponible pour aider sur la glace lors du premier entraînement.

LE CHOC DU RÉEL

Je me suis donc pointé à l’aréna dimanche à 8h30 (il faut arriver 30 minutes d’avance) avec Jaromir, son nouvel équipement usagé, mes patins vintage de 1995, un casque pas-de-grille et des gants usagés achetés la veille, et mon vieux Sher-Wood 5030 en bois, avec le tape déchiré, très old school. En entrant dans la chambre des joueurs avec fiston, je me sentais comme un enfant de première année le jour de la rentrée. Fébrile et stressé, mais fallait pas trop que ça paraisse. 

Il faut comprendre que j’ai beau avoir joué au hockey des centaines d’heures entre 6 et 18 ans, je suis loin d’être habitué à l’atmosphère des chambres de joueurs et aux drills de pratique. Quand je jouais, c’était sur la patinoire du parc devant la maison de mon enfance, sans équipement, avec mes frères et les mêmes trois amis, Jean-Louis, David, François. C’était ce que les Anglos appellent du shinny – un jeu informel assez loin du hockey organisé. 

Il y avait ben du monde sur la glace lors de cette première pratique. Une cinquantaine d’enfants de 7-8 ans, quelques coachs d’apparence plus officielle, et quelques pères un peu perdus, dont moi. Il y avait aussi un coach au casque rouge, qui devait faire 6’4” et 240 lbs, et qui a pris les choses en main en appelant tous les enfants à lui avec une voix à faire trembler l’aréna. 

Les premiers exercices consistaient à faire patiner les jeunes: à pleine vitesse, en sautant les lignes bleues, en se tenant sur un patin, en faisant des virages prononcés, par en arrière, etc. Tout ça pendant 10-15 minutes. Ne sachant pas trop quoi faire, j’essayais de maintenir un peu d’ordre dans les rangs (avec un succès mitigé) et de faire moi-même les exercices (certains étaient plus faciles que d’autres). 

Très vite, on constate des différences. Certains enfants filaient comme des fusées, freinaient d’un coup sec et patinaient à reculons sans difficulté. D’autres semblaient chausser des patins à glace pour la première fois de leur vie: incapables de faire une enjambée sans tomber, chevilles molles, bâton tenu à l’envers, regard effaré. Un jeune d’origine française, appelant à l’aide des yeux, m’a dit en hyperventilant qu’il était très bon en patins à roues alignées, et qu’il croyait que ce serait la même chose sur la glace. Son désarroi était palpable.

Jaromir ne se débrouillait pas trop mal. Il avait les jambes trop raides, le corps trop penché, il n’arrivait pas à patiner par en arrière ou à freiner – rendu à l’autre bout de la patinoire, à leur pleine vitesse, une quinzaine d’enfants s’écrasaient chaque fois dans la bande ou s’écroulaient sur la glace pour stopper leur course – mais il tenait bon. J’étais soulagé. On était loin de l’équipe d’étoiles, mais je n’aurais pas à vivre ces moments douloureux où un parent voit son enfant complètement déclassé par le groupe.

Il y a eu plusieurs pratiques du genre durant le mois d’octobre. Je ne comprenais pas trop où ça menait. J’ai continué d’aller « aider » sur la glace, laissant les entraîneurs aux casques rouges diriger l’action et me contentant de patiner et de dire aux enfants de ne pas se taper sur la tête avec leur bâton. Je me disais que j’étais comme l’équipe russe en 1972: venu pour apprendre

Puis, vers la fin octobre, on nous a informés que le classement des joueurs commencerait bientôt. Comment ça, un classement des joueurs? Jaromir ne jouerait-il pas simplement dans une des équipes du quartier, toutes égales et constituées de joueurs M9 de calibre variable?

Il faut comprendre que, dans ma grande naïveté, je m’étais imaginé – et j’avais fini par croire – qu’il existait deux catégories de joueurs dans le hockey mineur: (1) les joueurs d’élite, choisis au terme de camps de sélection, réunis dans une ou deux équipes par quartier, avec pratiques multiples et matchs partout dans le 514 et au-delà, et (2) les joueurs normaux, répartis dans plusieurs équipes de quartier, avec un horaire de pratique plus relax et des matchs à l’aréna local. Suivant ma théorie, puisque Jaromir n’avait aucune expérience et n’avait participé à aucun camp de sélection, il était évident qu’il jouerait dans une équipe ordinaire, contre d’autres équipes du quartier. Mais j’étais dans le champ.

J’ai alors appris qu’il existait quatre niveaux de joueurs dans la grande famille des M9. Les plus forts sont dans le niveau 1; les autres dans des équipes de niveau 2, 3 et, pour le fond du baril, le niveau 4. Et toutes ces équipes jouent contre d’autres équipes du même niveau, un peu partout à travers la ville. Mon rêve de hockey local s’évaporait. Peu importe le niveau de fiston, je devrais trimballer du stock de hockey de Verdun à Villeray.  

Entre-temps, mon aspiration progressive dans l’univers des arénas se poursuivait. 

Le 3 novembre, nous avons reçu un courriel indiquant qu’il manquait des coachs pour certains groupes en prévision des matchs de classement du dimanche. Jaromir était dans un des groupes dépourvus d’entraîneur. Je n’ai pas répondu tout de suite. Une heure plus tard, un deuxième courriel arrivait: tous les groupes avaient désormais un coach, sauf celui de Jaromir. Il fallait sauver ces orphelins. Je me suis porté volontaire, héroïquement. 

Quelques jours plus tard, le verdict est tombé. Au terme des matchs de classement, Jaromir a été assigné à une équipe de niveau 4. C’était normal, mais mon orgueil de père a souffert un peu quand même. Puis je me suis dit que Jaromir aurait enfin une équipe stable et quelques coéquipiers à mieux connaître, et que c’était le principal. 

CE QUI DEVAIT ARRIVER ARRIVA

Le courriel fatidique est arrivé deux semaines plus tard. « Nous finalisons actuellement le détail des équipes et j’aimerais vous demander d’être coach en chef de l’équipe de Jaromir cette année. » 

Le message se voulait rassurant: il y aurait beaucoup de soutien de l’organisation, les pratiques se feraient en grand groupe, 99% de la job de coach consiste à organiser les jeunes et les garder motivés. Ah oui, il y a aussi un peu de formation en ligne à compléter.

Rendu là, je voyais bien que j’avais mis le bras dans le tordeur plusieurs semaines auparavant. J’ai résisté un peu, mais au bout du compte j’ai dit oui. 

ET MAINTENANT, ON FAIT QUOI?

J’étais donc devenu coach d’une équipe de hockey mineur. Un de mes frères a fait remarquer que, considérant le parcours de coach de Martin St-Louis, il était possible que je sois nommé entraîneur-chef du Canadien d’ici 2-3 ans. J’ai ri. C’était un peu absurde. 

Et stressant. Parce que, soudain, j’étais responsable. Pas seulement de gérer des enfants sur la glace deux fois par semaine – ça, c’est la partie le fun – mais surtout de gérer les présences aux matchs, diffuser les consignes, gérer les émotions d’enfants qui ne sont pas les miens, dealer avec les autres parents, etc. 

Je suis allé ramasser nos 24 chandails de matchs (12 blancs, 12 rouges), quelques rondelles, une trousse de premiers soins, je me suis acheté un sifflet (12$), et c’était parti. Je n’avais aucune idée de ce que je faisais, mais j’avais les deux mains sur le volant, derrière le banc.

L’IMPORTANT, C’EST DE PARTICIPER

Notre premier match était le 3 décembre. On m’avait expliqué la semaine précédente qu’il fallait absolument présenter un minimum de sept joueurs (incluant un gardien) pour éviter de déclarer forfait, auquel cas le club doit payer une amende. 

Or, notre équipe compte neuf joueurs au total, huit garçons et une fille, et trois d’entre eux seraient absents pour le premier match – incluant mon propre fils, qui devait assister à un spectacle pour lequel ma blonde avait apparemment acheté des billets il y a très longtemps, et il n’était clairement pas question qu’il rate ça pour un vulgaire match de hockey, franchement. Nous risquions donc de déclarer forfait dès notre première partie. Le club nous a envoyé un remplaçant in extremis et nous avons pu nous présenter la tête haute. C’était le vrai début de ma carrière de coach. On s’est fait ramasser. 

Les défis ne manquent pas. Y’en aura pas d’facile, comme avait fameusement déclaré mon confrère Claude Ruel, en 1969. Nous avons amorcé la saison sans gardien. J’ai dû demander si certains de nos joueurs étaient intéressés à garder les buts à l’occasion. Par chance, deux garçons ont exprimé leur intérêt. Ils ont dû louer un équipement de gardien à l’aréna pour la saison et se le partager. Malheureusement, c’était le dernier kit disponible: beaucoup trop grand pour un de nos gardiens, et immensément trop grand pour l’autre. (Lors de notre avant-dernier match, notre plus petit gardien a trouvé une manière ingénieuse de contourner cette difficulté: il est resté agenouillé sur la glace pendant toute la partie.) Notre équipe compte aussi un joueur qui ne joue jamais les samedis, un autre qui a tendance à tenir son bâton comme s’il jouait au golf, un joueur qui confond régulièrement notre filet avec celui de l’équipe adverse. 

La bonne nouvelle, c’est que dans la division M9-4, on ne compte pas les points. Parce que, comme tout le monde le sait, l’important, c’est de participer. Notre fiche est donc un mystère. Considérant toutefois que nous avons marqué plus ou moins 2 buts en quatre matchs avant Noël, et que nos adversaires ont dû en marquer entre 35 et 45, il est raisonnable de croire que, si on avait compté les points, nous aurions terminé 2022 avec une fiche de 0 victoires et 4 défaites, par un score combiné d’environ 40-2 pour nos adversaires. 

Mais on garde le moral. Surtout que, contre toute attente, la pause des Fêtes semble avoir amélioré notre équipe. Lors de notre dernier match, nous avons même mené pendant environ 10 minutes: du jamais vu. Notre joueuse a presque réussi un lancer sur réception avec pirouette digne des belles années de Denis Savard. Deux autres joueurs ont effectué des feintes spectaculaires qui ont surpris nos adversaires autant que moi. Surpassant toutes nos attentes, notre gardien s’est tenu debout et a stoppé la majorité des tirs. Nos petits joueurs ont joué un gros match. J’ai même vu 2-3 passes et quelques replis défensifs. 

NOUS SOMMES VENUS POUR APPRENDRE

Du fond de la cave de la pire catégorie de hockey novice de Montréal, les possibilités semblent désormais infinies. Gagnerons-nous un match cette saison? Peut-être! Ou peut-être pas. Mais ce n’est pas grave. Les jeunes s’amusent. Ils jouent avec plus d’intensité. Faut croire que je n’ai pas encore perdu mon vestiaire. 

De son côté, Jaromir rayonne. Gonflé à bloc, il donne son 110% dans les matchs et les pratiques. C’est devenu un de nos meilleurs joueurs. Papa est fier de son fiston. 

Et moi, je ne suis plus seul. Touchés par mon incompétence sincère, d’autres parents ont mis l’épaule à la roue. Louis est devenu assistant coach. David – un entraîneur avec beaucoup plus d’expérience que moi – donne un coup de main et des conseils précieux. Stewart s’est improvisé soigneur. Jessica s’est portée volontaire pour gérer les présences. Il faudra bientôt organiser une réunion du comité de planification centrale pour discuter des tournois, et de comment ça marche ces affaires-là. 

Mon incursion dans l’univers du hockey a quand même confirmé certains préjugés. Ce n’est pas peu cher. L’horaire des pratiques, en semaine, change constamment. Les matchs compliquent l’organisation des week-ends. Et, contrairement à ce que j’avais rêvé, les parties ont lieu un peu partout dans la ville, même pour les équipes (très) ordinaires. Pour les parents, il s’agit d’un engagement important.   

Mais d’autres appréhensions s’avèrent sans fondement, du moins pour le moment. Comme intello n’ayant pas beaucoup fréquenté les arénas auparavant, j’avais peur de n’être pas à ma place au royaume du slapshot. Mais jusqu’à présent tout va bien. Les parents sont relax. La compétition est amusante. Les rapports entre adultes sont sympathiques. Durant les matchs, l’atmosphère rappelle davantage les spectacles de fin d’année scolaire que les combats de gladiateurs. (Je conçois que ce serait peut-être différent dans une ligue plus compétitive.) 

Les plans pour l’an prochain sont encore incertains. Jaromir veut clairement continuer. Il passerait dans la catégorie M11 où, on me dit, il y a encore plus de matchs et de pratiques. Ma blonde et moi devrons bientôt tenir une rencontre au sommet pour déterminer jusqu’où la famille (qui compte deux autres enfants) peut soutenir la carrière de hockeyeur amateur de notre fils de 8 ans. 

De mon côté, il faudra voir comment se présentent les choses. Cet improbable job de coach me vide la tête quelques heures par semaine, et le fait de patiner plus régulièrement a contribué à me remettre (un peu) en forme. Même ma blonde y trouve des bénéfices. Tout ça pour dire que si Jaromir continue l’an prochain et que le club a besoin de parents pour aider sur la glace au début de la saison, il n’est pas impossible que je me porte volontaire. 


Jérôme Lussier s’intéresse aux enjeux sociaux, politiques et économiques. Juriste, journaliste et idéaliste, il a tenu un blogue au VOIR et à L'Actualité et a occupé divers postes en stratégie et en politiques publiques, incluant à l'Assemblée nationale du Québec, à la Caisse de dépôt et à l'Institut du Québec. Il travaille actuellement comme directeur des affaires parlementaires au Sénat.

Lire tous les articles de Jérôme Lussier

Privacy Preference Center