Suis-je un nationaliste conservateur identitaire?
Le nationalisme québécois des 60 dernières années n’a jamais significativement changé de cap
Depuis quelques années, un courant de pensée défend la thèse selon laquelle le souverainisme de René Lévesque, qualifié d’ouvert, progressiste et inclusif, aurait graduellement été remplacé depuis 20 ans par un nationalisme de fermeture et d’exclusion centré sur les revendications des Québécois francophones « de souche ». Je constate que cette lecture est partagée par des collègues qui ajoutent que certains nationalistes d’aujourd’hui favoriseraient même le monoculturalisme et l’homogénéité et qu’ils auraient, sans même s’en rendre compte, traversé la chambre en passant du camp progressiste au camp conservateur.
Me sentant en partie visé par ces propos, je me suis humblement imposé un examen de conscience. J’en sors aujourd’hui avec certaines réflexions dont la principale: je ne me retrouve simplement pas dans cette nouvelle catégorie, et je crois que très peu de personnes pourraient porter ce chapeau. Est-ce par déni ? Rien n’est moins certain. Voici pourquoi.
La thèse du repli, appelons-là comme ça, repose sur la prémisse qu’il y aurait eu transition idéologique des nationalistes qui prônaient jadis l’ouverture et l’inclusion vers un conservatisme de fermeture et hostile à tout ce qui ne serait pas blanc, chrétien et francophone. Mais comment partager cette lecture alors qu’à mon humble avis, le nationalisme québécois des 60 dernières années n’a jamais significativement changé de cap?
Lorsqu’on parle de transition idéologique, encore faut-il passer d’un endroit à l’autre. Or, ce premier endroit, appelons-le le nationalisme à la sauce René Lévesque, avait comme objectif principal la survie de la majorité historique francophone du Québec. La philosophie nationaliste de l’époque offrait des réponses aux mêmes craintes qu’aujourd’hui et se positionnait très clairement en faveur d’un État qui aurait comme mandat de protéger ce qu’on appelait l’identité canadienne française. Ce nationalisme qui était mis de l’avant n’était pas que civique. Il impliquait l’idée de nation articulée autour d’une langue, d’une mémoire et de certaines valeurs qui ne reposent pas seulement sur des droits individuels. Les péquistes des années 70 parlaient de survivance afin de s’assurer de l’épanouissement à long terme du Québec. Est-ce là l’expression d’un nationalisme ethnique de fermeture? J’en doute.
Depuis la fin des années 60, aucun leader nationaliste ou souverainiste n’a prôné la création d’un État ethnique et, plus globalement, le repli du Québec. J’irais même jusqu’à dire qu’aucun d’entre eux n’était significativement conservateur, y compris l’actuel Premier ministre François Legault. Chacun d’entre eux a défendu les concepts d’un État fort et ouvert sur le monde, un taux d’imposition élevé, des programmes sociaux généreux et l’atteinte de plus d’égalité, notamment entre les sexes. La défense des intérêts du Québec n’est pas traditionnellement liée au conservatisme et n’est certainement pas un concept chauvin.
En plus de douter fortement de la thèse du repli, je soutiens qu’il est tout à fait possible de s’inscrire fermement en faux contre le multiculturalisme canadien et « l’idéologie diversitaire » sans souhaiter l’apparition d’une société homogène à culture unique. Il ne faut pas confondre le multiculturalisme, doctrine politique selon laquelle le Québec défile sans distinction au Canada parmi diverses communautés culturelles sans socle commun, et la diversité culturelle qui constitue un enrichissement extraordinaire et souhaitable pour le Québec. Faut-il d’ailleurs rappeler qu’aucun mouvement politique d’envergure au Québec n’a, de près ou de loin, nié l’apport inestimable de l’immigration depuis longtemps?
Les Québécois, y compris ceux qu’on tente de décrire comme des conservateurs identitaires, sont foncièrement ouverts sur le monde, accueillants et voient l’immigration positivement. C’est d’ailleurs pourquoi le Québec s’est montré d’une extrême générosité depuis des décennies en ce qui concerne le nombre d’immigrants qu’il a accueilli. Et pourtant, autant René Lévesque que François Legault ont émis des réserves non pas sur l’immigration ou l’apport des immigrants, mais bien sur le nombre que le Québec peut recevoir sans se noyer démographiquement, ce qui est tout à fait légitime. Je n’y vois ni conservatisme, ni excès identitaire.
Certains voient aussi dans l’intention d’une majorité de Québécois de légiférer sur les principes de laïcité une manifestation singulière de conservatisme identitaire, notamment en accusant les défenseurs de la Loi 21 d’agir directement contre les femmes portant le voile islamique.
Deux choses doivent être dites à ce sujet. D’abord, mentionnons qu’un très grand nombre de pays, y compris les démocraties occidentales, ont légiféré en la matière et imposent, à divers degrés, des uniformes et codes vestimentaires à leurs employés. Ces positions sont jugées légitimes, légales et nécessaires pour établir des rapports neutres et cohérents entre les États et leurs citoyens. N’en déplaise à certains, l’État dit parfois aux gens comment s’habiller. Mais surtout, si vous demandez à un partisan de la laïcité si, au fond de lui, il souhaite agir contre une femme qui porte le voile, il est fort à parier qu’il vous répondra que ce n’est ni la femme, ni le vêtement en tant que tel le problème, mais le symbole de misogynie, de sexisme et d’obscurantisme qu’il représente. Bref, pour une majorité de Québécois, l’égalité entre les hommes et les femmes n’est plus négociable et certains symboles, dont le voile, portent pour eux atteinte à ce principe. Ce n’est donc pas par conservatisme que la Loi 21 est souhaitée, mais au contraire, par progressisme. Un progrès d’ailleurs souhaité par Gérard Bouchard dans son rapport de 2007.
La perception d’un repli pourrait-elle ne pas tant venir d’un réel mouvement des nationalistes vers le conservatisme social, mais plutôt d’un choc idéologique vécu par ceux qui portent en eux de façon toujours plus radicale l’idéologie canadienne, le multiculturalisme au premier chef? Je pose la question: qui s’éloigne au juste? Les nationalistes qui défendent les mêmes causes depuis des décennies, ou ceux qui voient dans le contrôle des seuils d’immigration, la protection vigoureuse du français et dans la Loi sur la laïcité des gestes politiques illégitimes et injustifiables?
J’aimerais conclure en affirmant sans l’ombre d’un doute qu’il est fort possible d’être à la fois nationaliste engagé et progressiste en s’inscrivant dans la continuité philosophique de René Lévesque. Je refuse d’apposer l’étiquette conservatrice sur les principes de défense du français, de laïcité et de contrôle du flux migratoire. Je perçois un décalage flagrant entre ce que pensent les partisans de la thèse du repli et ce que pense vraiment la population, et plus spécifiquement les nationalistes qu’on tente de cataloguer comme conservateurs et identitaires.
Dans son ensemble, le Québec vit une osmose culturelle enviable grâce aux nouveaux arrivants. La défense d’une identité collective forte puisant ses sources dans la nature de la majorité historique francophone n’est ni régressive, ni conservatrice. L’ADN du Québec est profondément ouvert, pacifiste et tolérant et les balises mises de l’avant pour encadrer notre vivre-ensemble n’y changent strictement rien. Le nationalisme d’aujourd’hui, en ce sens, n’est ni fermé, ni moins progressiste que celui de jadis.
Louis Frédéric Prévost est avocat spécialisé en droit criminel et pénal. Voyageur infatigable, il se passionne pour les grands enjeux, l'actualité, la politique, l'éthique et les sciences. S'il n'est pas sur une moto à parcourir les routes d'Asie, vous le trouverez probablement attablé à un café à lire les journaux. Son objectif: résister au confort des idéologies afin de découvrir la vérité, même si elle est parfois inconfortable.
1 Commentaire
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Je vois quelques problèmes avec ce texte, comme la négation d’un virage identitaire pourtant évident avec la »charte des valeurs », mais qui s’est même produit avant (après l’accès de l’ADQ comme opposition officielle). Ça n’a pas été nié par des gens comme Pauline Marois ou JF Lysée. Il suffit aussi d’aller voir les propos de Marois et de Legault quand ils étaient ministres de l’Éducation pour constater que le discours a changé. Je propose aussi d’aller examiner les politiques et les actions des ministres Jacques Couture et Gérald Godin ou les constats de gens qui ont travaillé pour eux comme Jean Dorion. Visiblement, l’auteur a une perception qu’il n’a pas pris la peine de confirmer par des vérifications. Quant au foulard des musulmanes, des préjugés pour justifier son interdiction ne peuvent pas remplacer les résultats d’études sérieuses et objectives qui ne vont pas dans ce sens. Les musulmanes éduquées qui veulent travailler dans la fonction publique ne le voient pas comme un symbole de misogynie et d’obscurantisme. Au contraire, beaucoup d’entre elles se disent féministes et le portent par choix. Pour finir, je rappelle que des ténors souverainistes et chefs importants du PQ, Lucien Bouchard et Jacques Parizeau, se sont prononcés contre cette interdiction.