Jasons de… Catherine Dorion

et --- 12 avril 2022

Catherine Dorion fait jaser... Simon Jodoin et Jérôme Lussier discutent de son passage en politique.

Simon : Ah mon cher Jérôme, on pourra dire que Catherine Dorion a réussi à faire jaser jusqu’à la toute dernière minute. En annonçant cette semaine son départ de la vie politique à titre de députée, elle a provoqué encore de nombreuses discussions, notamment avec cette idée que l’Assemblée Nationale serait une institution surannée, à la limite de l’impotence. Personnellement, je n’ai pas été très impressionné par ses propos mais toi, je trouve que tu vis dangereusement! Tu as choisi de voler à son secours dans un texte. Un homme blanc qui défend une femme… J’en ai vu se faire canceller pour moins que ça pour cause de paternalisme! 🙂 Tu as senti qu’elle était attaquée et qu’elle avait besoin de toi pour se tirer d’affaires?

Jérôme : Ne t’inquiète pas, je pense que Catherine Dorion se porte très bien sans moi! Cela dit, j’ai trouvé que certaines de ses idées et contributions politiques méritaient mieux que le sort qui leur a été réservé par certains, et comme je ne résiste jamais à la tentation de jouer l’avocat du diable, j’ai rédigé mon billet. (Pour être honnête, je pense aussi que j’ai reconnu dans son action certains des combats que j’ai tenté de mener, en vain, par le passé.) Qu’est-ce que tu reproches à Catherine Dorion, de ton côté? En tant que poète, musicien, observateur sociopolitique un peu décalé et allergique à la bullshit, j’aurais cru que tu aurais plus d’atomes crochus avec elle…

Simon : Ah, c’est bien possible qu’elle et moi ayons des atomes crochus (tu surestimes un peu mon apport à la poésie cela dit!). Ce n’est pas son désir de délier les langues de bois qui m’agace. C’est plutôt cette tendance à dénigrer en bloc tout ce qui ne cadre pas dans sa mise en scène. Ses propos sur l’Assemblée Nationale sont un peu à l’image d’autres petites polémiques qui ont marqué son passage en politique. En se déguisant en tenue de ville pour l’Halloween, par exemple, elle disait ça au fond: « moi, je porte le costume du vrai, du franc-parler, de l’authentique, les autres qui adoptent le style plus conventionnel font dans la mascarade et vous cachent quelque chose ». Cela dit – et j’ai déjà défendu cette position en chronique à quelques reprises, il est tout à fait sain qu’elle exprime une telle opinion. J’ai un faible pour les électrons libres, mais je n’achète pas cette dichotomie que je trouve un peu simpliste.

Jérôme: Je comprends, même si je n’ai pas vu ce dénigrement dont tu parles. Deux points rapides avant de parler du fond de sa critique. Le premier, c’est qu’il y a une certaine mise en scène qui me semble inévitable en politique. Ce n’est pas l’aspect que je préfère, mais je l’accepte comme faisant partie du jeu depuis toujours. Les hommes et les femmes politiques font parfois des stunts pour passer des messages, et Catherine Dorion l’a fait de manière somme toute banale (on est loin des marteaux-piqueurs et des combinaisons anti-égouts de Denis Coderre). Le deuxième point, c’est que je n’ai pas accordé beaucoup d’importance symbolique à ces questions vestimentaires. Je veux bien que son coton ouaté ait pu servir de marqueur identitaire; pour d’autres, c’est une façon de parler ou des vidéos promotionnelles. Ce que j’ai surtout retenu et apprécié de Catherine Dorion, c’est son rejet assumé de la langue de bois, ses efforts pour faire entrer certains thèmes tabous dans notre politique, et sa volonté de réformer (comme d’autres avant elle) des institutions politiques qui n’inspirent plus suffisamment confiance. Crois-tu que cette critique soit irrecevable?

Simon : Certainement pas! Cette critique est tout à fait recevable. Je ne pense pas, toutefois, qu’il est question pour elle et ses collègues de réformer les institutions. Le projet solidaire vise plutôt une refondation complète des instances démocratiques et des espaces de délibération. Voilà déjà quelque chose qui ne se règle pas dans une capsule vidéo sur Facebook et qui, à bien des égards, demeure plutôt nébuleux pour les citoyens et citoyennes qui sont pourtant les premiers concernés. Sinon, pour le reste, bien évidemment, il y a une part de spectacle de tous les côtés. Sur ce point, je suis totalement d’accord avec toi, elle n’était certainement pas pire qu’une autre. Ce qui m’enquiquine, c’est cette prétention à être mieux que les autres. J’ai toujours vu dans ses prises de position colorées une sorte de snobisme avant-gardiste: tout le monde donne un show, mais le mien est authentique, moralement plus élevé et, surtout, plus en phase avec « l’intelligence émotionnelle collective du peuple ». Bien franchement, moi, tu me dis des affaires de même et c’est plus fort que moi, je pars à rire. Je suis étonné, te connaissant pour ton esprit critique, que ce genre de jugement moral et esthétique un peu ésotérique ne t’irrite pas un petit peu.

Jérôme: Je pense qu’une différence entre nos perceptions tient du fait que j’ai refusé de trop spéculer sur les motivations et les implications de ses actions. Pour moi il y a quelque chose de simple et de brut dans le personnage de Catherine Dorion: elle dit ce qu’elle pense, sans s’enfarger dans les calculs politiques. Elle a parfois visé juste, parfois moins. C’était une artiste de la scène avant de se lancer en politique, et c’est en partie ce qu’elle est demeurée, comme d’autres demeurent comptables, médecins ou avocats une fois devenus politiciens. Je n’ai pas vu dans ses critiques de l’Assemblée nationale des choses très différentes de ce que d’autres ont dit par le passé sur la lourdeur des protocoles, la partisanerie et les règles trop contraignantes. Pour moi, par contre, tout ça n’est pas un enjeu moral ou esthétique. C’est un vrai enjeu démocratique. Si la population ne se reconnaît plus dans ses institutions politiques et administratives – devenues inaccessibles, opaques ou incompréhensibles – alors on risque de se retrouver avec des candidats qui veulent tout foutre en l’air et jeter le bébé avec l’eau du bain. Il est fort possible que Catherine Dorion ne voit pas les choses comme ça, mais en ce qui me concerne, ses élans réformateurs sont plus utiles comme moyen de transformer et préserver un appareil démocratique nécessaire que comme stratégie pour le foutre par terre. Je soupçonne que nous sommes au moins d’accord sur l’importance de restaurer la confiance et la connexion d’une partie de la population avec la chose politique? 

Simon : Peut-être suis-je pour ma part moins déçu des institutions que bien d’autres, d’où ma position. Toutefois, bien évidemment, j’embrasse chaleureusement l’importance de restaurer la confiance envers la chose politique et la nécessité de raccommoder les liens rompus. Ceci étant dit, il va falloir m’expliquer en quoi lever le nez sur l’Assemblée Nationale permet d’atteindre cet objectif. Ce que je vois moi, c’est qu’en quelques semaines, en soufflant sur les braises du mécontentement et sans aucun projet politique consistant, c’est Éric Duhaime qui monte dans les intentions de vote. Ça m’avait frappé d’ailleurs, lors de l’épisode avec la pâtissière de Saguenay, Stéphanie Hariot, tu te souviens? En entrevue avec Patrick Lagacé, qui lui demandait pour qui elle allait voter alors qu’elle n’avait plus confiance en Legault, elle avait répondu « pour Duhaime », avant d’éclater de rire pour dire qu’elle ne pourrait pas aller là et qu’elle ne saurait donc pas à qui donner son vote. C’est une anecdote, mais j’y ai vu un exemple très concret de cette confiance qui s’effrite et qui ne trouve pas dans le discours solidaire une proposition séduisante. Comment se fait-il que cette ouvrière découragée, dans son infortune, ne songe pas à Québec Solidaire? 

Jérôme: Ah, ça c’est une grande (et intéressante) question! On en reparlera, mais je pense que ça tient notamment au fait que Québec Solidaire propose ultimement un gouvernement très interventionniste, alors que le backlash post-COVID a surtout aidé les partis à tendance libertarienne. Pour ma part, je pense que les partis progressistes vont devoir réfléchir à des approches modernes, évidemment alignées sur leurs objectifs, mais moins portées sur le syndicalisme et le tax and spend d’antan. Catherine Dorion ne porte évidemment pas toute la responsabilité de régler ce problème.

Simon: Tout à fait, ça dépasse le cas de Catherine Dorion ce que je te raconte là, mais c’est dans l’ambiance. Le spectacle est bon pour un public déjà conquis mais ne semble pas rejoindre de nouveaux spectateurs ou sinon très difficilement malgré les pirouettes. Je pense qu’on touche ici à un enjeu majeur pour QS en particulier et pour les progressistes en général. Comment passer de la poésie au pouvoir? Je pense pour ma part que le meilleur moyen de restaurer la confiance serait d’obtenir des gains concrets dans certains dossiers en tissant des alliances. Pour ce faire, la stratégie du loose canon me semble peu prometteuse. J’en veux pour exemple la prise de position de Catherine Dorion dans le dossier des médias, qui réclamait qu’on exclue les chroniqueurs des programmes d’aides financières. Ça montrait bien qu’elle ne connaissait pas grand-chose à la réalité de ce terrain. Ça faisait une jolie parade pour ceux qui détestent Martineau et Quebecor, mais ça ne faisait pas avancer le dossier d’un millimètre.

Jérôme: Comment passer de la poésie au pouvoir? J’aime bien ta question. Mais voyant cette discussion qui s’allonge, je propose qu’on essaie d’y répondre une autre fois. Ça soulève des questions de stratégie. De mon côté, j’ai assurément de la sympathie pour une personne qui est passée de l’art militant à la politique partisane, et qui se tourne aujourd’hui vers une autre forme d’engagement. Je n’y vois pas nécessairement du défaitisme, de la condescendance ou un point de non-retour. J’ai moi-même fait des transitions du genre à quelques reprises dans ma vie, en passant de certains lieux de pouvoir aux estrades plus libres, et je crois que la vie démocratique a besoin de ces différents types d’engagement: des manifestants de la rue aux tribuns parlementaires, en passant par les think tanks, chroniqueurs et essayistes. Sur ce, je propose qu’on range nos claviers pour ce soir. J’espère ne pas faire d’insomnie en réfléchissant à ta question.

Simon : Ne t’inquiète pas, j’ai cette question en tête depuis des années et je dors sur mes deux oreilles! Au plaisir mon cher. Qui sait, on ira peut-être un jour prendre une bière avec Catherine Dorion. La vie démocratique a aussi besoin des bistrots. On invitera même Steven Guilbeault et on discutera des périls de la poésie moderne!


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