Haroun Bouazzi, le racisme et l’Assemblée nationale
En somme, il s’est présenté à son combat contre le racisme avec un tire-pois. Ça ne signifie pas que son ennemi n’existe pas, ça montre simplement qu’il n’a pas su en prendre la bonne mesure.
« J’ai pris quelques minutes pour parler de racisme lors de mon discours au Gala d’Excellence de la Fondation Club Avenir, qui honore les Québécois et Québécoises d’origine maghrébine. »
C’est en ces termes qu’Haroun Bouazzi, député de Maurice-Richard pour Québec Solidaire, annonçait le 5 novembre dernier la mise en ligne sur sa page Facebook d’une vidéo d’une allocution prononcée trois jours plus tôt. Il ne se doutait sans doute pas, à ce moment-là, que ces « quelques minutes » se transformeraient en une lente et douloureuse dégringolade, étalée sur plusieurs jours, une querelle médiatico-politique d’une ampleur étonnante qui allait mobiliser l’ensemble de la classe politique québécoise.
Chose certaine, il ne pouvait pas ignorer qu’il mettait les pieds dans les sentiers sinueux de la controverse dans lesquels il est facile de se perdre. Son intention, comme on va le voir, ne se résumait pas à un simple désir d’animer une causerie sur le racisme. Il souhaitait mettre en lumière les « mécanismes du racisme » auxquels prendraient part ses collègues et adversaires politiques qui siègent à l’Assemblée nationale. Il est rare que de telles accusations donnent lieu à des échanges feutrés et ce militant de longue date est en quelque sorte payé pour le savoir.
Il serait audacieux de tenter de résumer l’affaire en quelques lignes. Je me contenterai de proposer des repères afin de vous indiquer des sources pour mettre la table.
Acte 1 : 14 novembre 2024, le chroniqueur Antoine Robitaille rapporte les propos litigieux d’Haroun Bouazzi dans le Journal de Montréal.
Acte 2 : Le jour même, des élus, à l’instar de Marwah Rizqy, dénoncent ces allégations qui « jettent un immense discrédit envers l’Institution des institutions ».
Acte 3 : Le lendemain matin, à l’occasion d’une longue entrevue avec Patrick Masbourian à Radio-Canada où il était invité à s’expliquer, Haroun Bouazzi s’est plutôt enfargé dans une suite d’accusations décousues, imprécises et mensongères à l’endroit de Lionel Carmant et Christian Dubé.
Acte 4 : Après une semaine de débats houleux, toute la classe politique, dans un feu d’artifice de motions à l’Assemblée nationale, condamne les propos du député qui, sur les médias sociaux, a finalement exprimé des regrets pour avoir commis une maladresse.
Comment ces quelques mots ont-ils pu causer une polémique si explosive ? Tentons ensemble de désassembler cette nouvelle bombe qui a marqué l’actualité pour voir comment elle est fabriquée.
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Prenons d’abord le temps d’entendre, au long, l’allocution d’Haroun Bouazzi. Pour fins de référence, je l’ai archivée en format audio et retranscrite intégralement. Avant d’aller plus loin, je vous invite à prendre quelques minutes pour écouter, au complet, ce qu’il avait à dire le 2 novembre dernier à ceux et celles qui assistaient au Gala d’Excellence de la Fondation Club Avenir.
Je vais vous parler d’une des raisons pour lesquelles je me suis lancé en politique. Je vais vous parler de racisme et de l’importance de ce qui se passe aujourd’hui dans la lutte contre le racisme. Le racisme, il n’y a pas de races humaines, il y a des races qui sont construites par la société, qui crée une catégorie à laquelle on assigne une culture qui, par définition, est dangereuse, qui est inférieure. Et au bout de 22 ans, ce que vous faites aujourd’hui est très important pour casser la construction de ces mécanismes du racisme.
C’est d’autant plus important aujourd’hui que nous voyons malheureusement, et Dieu sait que je vois ça à l’Assemblée nationale tous les jours, la construction de cet Autre qui est maghrébin, qui est musulman, qui est noir, qui est autochtone et de sa culture qui par définition serait dangereuse ou inférieure.
Nous avons entendu, il y a deux semaines ici même à Côte-des-Neiges, parler de la construction de cette culture comme étant la seule représentation des communautés maghrébines. Des problèmes, des profs incompétents et tout le discours qui vient avec l’emprise, l’envahissement de cette culture et du danger qui l’entoure. Nous avons aussi entendu d’autres scandales à l’Assemblée nationale, où il y a par exemple des assistantes qui, dans des organismes qui s’occupent des enfants qui ont des problèmes, ont couché avec des mineurs. Est-ce que vous savez de quelle culture ils sont ou quelle est leur religion ? Moi non plus, mais ce que je peux vous dire, c’est que ce n’est ni des Maghrébins ni des musulmans, parce que sinon, on serait sûr de savoir de quelle religion ou de quelle origine ils sont.
Et donc, 22 ans plus tard, c’est d’autant plus important ce que vous faites parce que l’inverse de la culture inférieure de la culture dangereuse, l’inverse du maghrébin dangereux, ce n’est pas le maghrébin excellent, c’est le maghrébin normal qui a le droit d’être médiocre parce qu’il y a des gens médiocres partout et qui est aussi parfois excellent et c’est aujourd’hui ce que nous honorons, c’est cette diversité et l’importance de l’excellence dans notre culture commune québécoise et comment nous la faisons avancer ensemble.
Donc, au-delà de cette surenchère entre la CAQ et le PQ sur la construction de l’autre, il y a un autre phénomène parce que le racisme est un phénomène mondial et je ne pouvais pas monter sur cette scène sans toucher sur la construction de l’autre au point de lui enlever toute humanité, au point de l’anéantir autour d’un génocide en Palestine.
Et plus on humanise l’autre, plus on lui reconnaît cette diversité, plus nous allons dénormaliser la complicité qu’il y a dans notre société et malheureusement, à l’Assemblée nationale, quand il est question de déshumaniser nos frères et sœurs en Palestine.
Donc, ce que vous faites et ce que les 60 bénévoles font est essentiel, non seulement pour nous faire du bien, comme a dit Monsef*, mais aussi pour lutter contre ces inégalités et ses oppressions qui, malheureusement, en 2024, ne sont pas près de disparaître.
* NDLR Il s’agit de Monsef Derraji, député de Nelligan, qui était lui aussi présent au gala.
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Considérons les éléments auxquels nous avons accès et qui sont disposés devant nous.
Nous savons qu’au moment où Haroun Bouazzi prend la parole pour prononcer ce discours, il se trouve dans un événement qui a pour objectif de « célébrer les membres de la communauté algérienne et maghrébine au Canada qui se sont illustrés par leurs réalisations exceptionnelles dans divers domaines : professionnel, entrepreneurial, académique, sportif, culturel ou communautaire. » Ce contexte est important.
Afin d’introduire son propos, il évoque d’entrée de jeu une des raisons pour lesquelles il s’est lancé en politique : la lutte contre le racisme.
Qu’est-ce donc que le racisme qu’il entend combattre ? Sa réponse à cette question repose sur trois énoncés :
1 – lI n’y a pas de races humaines
2 – Les races sont construites par la société qui, par le fait même, crée une catégorie
3 – À cette catégorie, « on » assigne une culture qui, par définition, est dangereuse et/ou inférieure
C’est selon lui la raison pour laquelle les actions posées par les membres du Club Avenir sont très importantes. Certes, elles sont bonnes en soi, pour les effets bénéfiques qu’elles génèrent, mais en plus, elles permettent de « casser la construction de ces mécanismes du racisme » qu’il vient de décrire.
C’est ensuite qu’il prononce la phrase qui a le plus circulé et dans laquelle l’Assemblée nationale est mentionnée pour une première fois. Je vais la citer à nouveau afin que nous l’ayons bien en tête.
C’est d’autant plus important aujourd’hui que nous voyons malheureusement, et Dieu sait que je vois ça à l’Assemblée nationale tous les jours, la construction de cet Autre qui est maghrébin, qui est musulman, qui est noir, qui est autochtone et de sa culture qui par définition serait dangereuse ou inférieure.
(J’ouvre une parenthèse. On a beaucoup parlé de ce passage qui a fait grand bruit, mais Haroun Bouazzi affirme en plus, vers la fin de son discours, qu’il constate « la complicité qu’il y a dans notre société et malheureusement, à l’Assemblée nationale, quand il est question de déshumaniser nos frères et sœurs en Palestine », en expliquant que le génocide des Palestiniens participe aussi à « la construction de l’autre au point de lui enlever toute humanité ». Je m’étonne que cette avancée, sur un registre beaucoup plus sévère, n’ait pas été relevée.)
En disposant ainsi les ingrédients avec lesquels Haroun Bouazzi a fabriqué son exposé, on voit un peu mieux pourquoi il a créé autant de confusion et d’incompréhension au point d’engendrer la polémique à laquelle nous avons assisté.
En l’écoutant, on comprend vaguement que « la société » construit des races. Ah oui ? Comment ? Ceux qui sont victimes de racisme et qui font inévitablement partie de la société participent-ils à cette construction ? Si oui, dans quelle proportion, sinon, quelle partie de la société est le sujet de cette affirmation ? Il y a là quelques questions qu’il faudrait considérer.
À ces catégories que sont les races, Haroun Bouazzi nous dit qu’on assigne une culture qui par définition est dangereuse et/ou inférieure. Qui fait ça ? Qui est ce « on » qui prend le relais de « la société » dans cette « mécanique » ? Dans la mesure où il dit voir cela tous les jours, peut-il au moins citer quelqu’un qui, à l’Assemblée nationale, aurait laissé entendre que les cultures autochtones, pour ne prendre que cet exemple, sont définies comme dangereuses ou inférieures ? D’où viennent ces « définitions » de telle ou telle culture qui apparaissent comme par magie ? Qui les formule ? Par ailleurs, des membres des communautés revendiquent, avec raison, le droit de mettre en valeur leurs cultures d’origine. Que signifie alors cette idée étrange voulant qu’une culture puisse être « assignée » ?
Autant de questions, autant de mystères.
Résultat des courses : certains y ont vu une dénonciation du racisme systémique, alors qu’il ne parle nulle part de cette notion ou d’un système — à moins de considérer que « société » et « système » sont synonymes, ce qui n’arrange rien et ne fait qu’ajouter toute une série d’interrogations au problème —, d’autres ont vu des accusations de racisme tout court, d’autres encore se sont sentis visés alors que le député ne vise personne et tout le monde à la fois.
La polémique à laquelle on vient d’assister s’est ainsi transformée en une sorte de chasse au trésor qui consiste à résoudre des énigmes sans savoir ce qu’on obtiendra en bout de piste.
C’est le propre des propos confus. De par leur nature incompréhensible, chacun peut comprendre ce qu’il veut et proposer n’importe quoi en guise de réponse. Haroun Bouazzi a saisi la grenade du racisme sans vraiment comprendre ce qu’il tenait dans ses mains et l’a balancée dans les airs sans trop savoir ce qu’il visait.
On sait bien ce qu’il veut dire et de qui il parle ! ont proposé ceux qui ont tenté de le défendre.
Il ne parle certainement pas de nous ! ont rétorqué ceux qui ont voulu se défendre.
Mais, de quoi il parle ? ont risqué ceux qui cherchaient à comprendre.
Ironiquement, en entrevue avec Patrick Masbourian, Haroun Bouazzi a dit vouloir faire de la pédagogie.
Si tel était vraiment son désir, j’ose une humble suggestion que je souhaite constructive : il va falloir revoir la méthode.
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Toujours est-il que, faute d’explication claire de la part d’Haroun Bouazzi, en faisant fi de toutes les zones d’ombre dans son argumentaire, on peut dégager de bonne foi le raisonnement suivant de son allocution:
a) Le racisme, c’est selon lui la construction de l’Autre à qui on assigne une culture qui est par définition dangereuse et/ou inférieure.
b) Il constate que cette mécanique est à l’œuvre tous les jours à l’Assemblée nationale.
Je ne vois pas comment il serait possible de déduire de ces deux prémisses autre chose que la conclusion qui s’est imposée pour à peu près tout le monde :
c) L’Assemblée nationale construit donc du racisme sur une base quotidienne.
On peut légitimement vouloir proposer un tel raisonnement et démontrer en quoi il est fondé. Un politicien, faisant ce constat et capable de l’étoffer de manière convaincante, pourrait de bon droit mener un combat contre une institution dont les activités auraient pour effet de fabriquer du racisme.
Ce faisant, toutefois, on ne peut faire l’économie de quelques batailles où il faut se présenter avec des armes bien aiguisées. Celui qu’on accuse de produire du racisme aura d’excellentes raisons de croire qu’on le traite de raciste et il y a de forte chance qu’il voudra se défendre, et pour cause.
En attaquant Lionel Carmant et Christian Dubé à l’occasion d’une entrevue avec Patrick Masbourian, sans même pouvoir citer leurs déclarations et identifier le contexte où elles avaient été prononcées, il n’a clairement pas compris dans quelle bagarre il s’engageait.
Leurs propos, tels qu’il les rapportait, mais qui se sont avérés finalement inexacts, ne sont pas « spécialement racistes », disait-il, mais ils « construisent l’Autre comme un danger et quand l’Autre devient un danger, il y a du racisme qui se crée. »
Autrement dit, à partir de prises de paroles qui ne sont pas racistes et qu’on peut de toute façon citer sans souci d’exactitude, il est possible de déclencher une chaîne de cause à effet qui, en fin de compte, donnera du racisme.
Peut-être, mais comment cela se produit-il ? Et si les propos tenus peuvent, même sans intentions malveillantes, créer du racisme, ne faudrait-il pas en comprendre la teneur avant de prétendre pouvoir en prévoir les effets ?
Il est bien possible qu’Haroun Bouazzi ait aperçu, à l’Assemblée nationale, la construction d’une figure de l’Autre affublée d’une culture dangereuse ou inférieure par définition. Le cas échéant, ce ne serait pas outrageusement immoral de nous en alerter.
Il a cependant échoué à expliquer de quelle matière sont constitués les matériaux de cette fabrication et en quoi consiste le travail des ouvriers qui œuvrent à cet édifice. La construction de l’Autre ne peut pas tout bonnement se faire par génération spontanée, sans qu’aucune volonté ne soit convoquée.
En somme, il s’est présenté à son combat contre le racisme avec un tire-pois. Ça ne signifie pas que son ennemi n’existe pas, ça montre simplement qu’il n’a pas su en prendre la bonne mesure.
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Il reste qu’un élément de réflexion important, dans toute cette polémique, est demeuré dans l’angle mort. C’est pourtant, à mon humble avis, le plus triste et sans doute le plus dommageable.
Posons-nous une question simple : mais pourquoi, diable, Haroun Bouazzi a-t-il choisi d’aller parler de racisme par un beau soir de novembre à ces gens rassemblés pour « célébrer les membres de la communauté algérienne et maghrébine au Canada qui se sont illustrés par leurs réalisations exceptionnelles dans divers domaines » ?
Il pouvait choisir parmi une panoplie de sujets de conversation. Il était devant une foule de citoyens engagés et motivés, prêts à agir pour le bien de leur communauté et sans doute de la société à laquelle ils appartiennent. Il aurait pu leur dire, par exemple, que sa présence à l’Assemblée nationale était le signe qu’ils y étaient bienvenus et que lui et ses collègues leur feraient volontiers une place avec enthousiasme. Pourquoi a-t-il préféré leur raconter qu’il trouve tous les jours, dans cette institution, un milieu qui leur est hostile?
La clé pour comprendre l’essence de son propos se trouve peut-être dans la réponse à cette question.
Haroun Bouazzi n’adressait pas ses reproches directement aux élus de l’Assemblée nationale. Viser untel ou unetelle, ce soir-là, avait somme toute assez peu d’importance.
Il visait son auditoire. Ce sont les gens qui assistaient au gala qui devaient se sentir concernés.
« Je vous félicite aujourd’hui, car ce que vous faites permet de déconstruire ce qui se fait tous les jours à l’Assemblée nationale pour vous déconsidérer. »
C’est cela qu’Haroun Bouazzi a choisi de dire à l’occasion de ce gala.
Son propos consiste à opposer l’État aux communautés. C’est loin d’être anodin et c’est beaucoup plus pernicieux qu’une insulte ou un propos vexatoire tel qu’une insinuation de racisme, qu’elle soit directe ou diffuse. À la rigueur, les élus qui se sont sentis lésés ont pu régler leurs différends au sein de l’enceinte parlementaire et claironner leur indignation sur toutes les tribunes, mais ce qui a été semé à l’extérieur continue de germer en silence sans qu’on ne puisse intervenir.
Lorsqu’une telle mise en opposition est plantée dans l’esprit des citoyens, toutes les motions du monde, tous les débats parlementaires et toutes les querelles politiques ne seront d’aucun secours. Dès qu’il est acquis que l’État travaille contre le citoyen, tous les gestes que les institutions poseront par la suite pourront être compris comme des oppressions de plus.
Était-ce son intention ? On peut certainement lui accorder le bénéfice du doute. Un fait demeure toutefois : dans toute la confusion créée par son intervention, cette idée apparaît comme simple et efficace et c’est peut-être la seule qui pouvait être facilement comprise.
Simon Jodoin est auteur, chroniqueur et éditeur. Après des études en philosophie et en théologie à l’Université de Montréal, il a pris part à la réalisation de divers projets médiatiques et culturels, notamment à titre de rédacteur en chef du magazine culturel VOIR. Il est désormais éditeur de Tour du Québec et chroniqueur régulier au 15-18 sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première. Il est l'auteur du livre Qui vivra par le like périra par le like, un témoignage au tribunal des médias sociaux.
3 Commentaires
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Belle déconstruction ! Effectivement, les gens dans la salle devaient avoir davantage envie de joie et d’espoir – espoir qui ne me semble pas du tout utopique- que de se voir imposer ce « devoir » d’indignation. Décidément, monsieur Bouazzi n’a pas les antennes très sensibles.
De Sisyphe et des mots qui roulent
Dans cette histoire qui s’écrit entre une tribune et une controverse, on pourrait être tenté de voir Haroun Bouazzi comme un Sisyphe moderne, condamné non par les dieux de l’Olympe, mais par les mécanismes complexes du discours public et de la société dans laquelle il tente de faire résonner une idée. Le parallèle avec le mythe est séduisant, mais il mérite qu’on s’y attarde avec la rigueur que requièrent les sujets sérieux – en l’occurrence, celui du racisme systémique.
Sisyphe, dans la mythologie, pousse une pierre pour l’éternité, chaque effort étant annulé à l’instant où le sommet est atteint. Sa tâche est vaine par essence, comme une parabole de l’absurde. Mais Bouazzi, en prenant la parole sur cette scène, ne s’attaque pas au vide. Il tente, au contraire, de nommer des mécanismes qui structurent nos vies collectives, de dénoncer des injustices profondes, de faire voir ce que nous préférons souvent ignorer. Sa pierre, c’est le poids de ces vérités inconfortables.
Mais voilà : tout comme Sisyphe doit composer avec une pente qui échappe à sa maîtrise, Bouazzi se heurte à un problème tout aussi fondamental que la tâche qu’il s’impose. Les mots qu’il emploie – flous, approximatifs, parfois mal choisis – glissent sur le sol de la réalité comme une pierre mal ajustée à sa trajectoire. Parler de « mécanismes de racisme » sans en définir précisément les contours, évoquer des cultures « inférieures » sans expliciter clairement le propos, c’est inviter l’auditoire à combler ces absences par ses propres biais, ses propres incompréhensions. Et dans cet espace laissé vacant, la confusion s’installe.
En cela, Bouazzi incarne une autre forme d’absurde : celle où la parole, au lieu d’éclairer, ajoute à l’obscurité. Pourtant, cela ne signifie pas que sa lutte est dénuée de sens. Dans un monde où le racisme, systémique ou non, se manifeste souvent dans des mécanismes insidieux et invisibles, tenter de nommer ces forces est un acte courageux. Mais il faut que cet acte soit accompagné d’une rigueur intellectuelle qui donne à cette parole un poids suffisant pour ne pas dévaler la pente à la première critique.
Pourrions-nous blâmer Sisyphe pour l’inefficacité de ses efforts ? Peut-être pas. Mais nous pouvons nous interroger sur la pertinence de sa méthode. Et dans ce cas précis, Bouazzi aurait gagné à faire ce que tout orateur, tout intellectuel, tout citoyen engagé devrait faire : se donner les moyens de rendre ses arguments inattaquables. Précision, clarté, contexte – voilà les outils qui permettent de faire avancer une pierre, même sur un terrain glissant.
Car c’est là où le mythe de Sisyphe doit être dépassé. Contrairement à la condamnation divine, la lutte contre le racisme n’est pas une tâche éternellement vouée à l’échec. Mais pour éviter l’absurde, il faut construire des ponts plutôt que de lancer des pierres. Bouazzi a ouvert un débat, certes. Mais la prochaine fois, espérons qu’il le fera avec une pierre taillée pour ne pas rouler en arrière – et un sommet qui, cette fois, sera un peu plus proche.
Entre-temps, il nous reste à réfléchir collectivement à cette montagne qui, elle, ne disparaîtra pas d’elle-même.
« Emprise » ou « entrisme »?
Je crois qu’il y a une erreur de transcription dans cette phrase: « Des problèmes, des profs incompétents et tout le discours qui vient avec l’emprise, l’envahissement de cette culture et du danger qui l’entoure. »
Moi, ce que j’entends ce n’est pas « l’emprise » mais « l’entrisme ». Emprise n’a pas beaucoup de sens dans cette phrase alors qu’entrisme prend tout son sens. C’est aussi ce qu’on obtient lorsqu’on affiche la transcription sur Youtube.
Dans cette phrase, il fait allusion au cas de l’école Bedford, sans la nommer, et c’est d’entrisme dont a parlé François Legault à propos des violations de nos lois dont s’est rendue coupable une clique dans cette école.
Je suis surpris que ce passage n’ait pas été lui aussi relevé à sa juste mesure par les médias. Car en déplorant uniquement la façon dont on a parlé des violations des lois à Bedford sans dénoncer les pratiques inacceptables rapportées par les enquêteurs, Haroun Bouazzi se trouve par le fait même à cautionner ces pratiques teintées d’intégrisme religieux et montre ainsi de quel côté il se situe.
Plus de détails ici: https://www.tolerance.ca/Article.aspx?ID=569060&L=fr