Les enfants de Gaza n’existent pas

--- 16 novembre 2023

Non mon amour, tout cela n’est qu’un rêve sombre

Bérengère Ruet a vécu à Ramallah, en Cisjordanie, de 2012 à 2014. Elle a notamment enseigné le français dans trois camps de réfugiés, à des enfants et des adolescents. Aujourd’hui mère de deux enfants, elle a écrit ce texte en s’inspirant d’articles parus récemment dans les médias et d’images partagées par des journalistes à Gaza.


Viens mon enfant, chut ne pleure plus. Sèche tes larmes et ferme tes yeux. Non mon amour, ne crois pas ce que l’on te dit, ce n’est pas vrai qu’à Gaza les enfants meurent dans le noir. Ce ne sont que des histoires qu’on raconte pour se faire peur. Non mon petit tu n’as pas vu cette petite fille couverte de sang tremblante sur son lit d’hôpital sans père ni mère pour lui tenir la main. Ni ce poupon poussiéreux aux grands yeux apeurés, dont on ignore le nom, assis seul sur le carrelage froid, qui tourne avec peine sa tête lourde à la recherche d’un visage familier. Ni non plus ce garçon de onze ans aux mains molles et au regard mort qui a perdu les dix-huit membres de sa famille. Ceci n’est qu’un cauchemar, tu n’as pas entendu le cri de cette mère qu’on ouvrait à même le sol pour sortir de son ventre un enfant mort-né, ni ce père qui appelait, couché sur les décombres, sa fille prisonnière des pierres et de la poussière qui l’avaient ensevelie. Mais non mon amour à Gaza les bébés ne sont pas enterrés vivants sous leurs maisons. Les mères n’écrivent pas le nom de leurs enfants sur leurs bras et leurs jambes afin que leurs membres déchiquetés par les obus puissent être identifiés. Crois-tu vraiment que l’on laisserait ainsi pour venger une tuerie perpétrer un massacre? Que nos dirigeants, eux-mêmes des mères et des pères, laisseraient impunément tomber les bombes sur de petites têtes bouclées et sur des femmes en train d’accoucher? Mais mon amour dans quel monde vivrions-nous s’il était moralement acceptable de tuer 5000 enfants pour faire le deuil de 30? Alors on laisserait la haine labourer des civils comme on le ferait de nos champs. Nous serions donc régis par la loi du plus fort et celle de l’argent; et quelle morale nous empêcherait alors de brûler la maison de ce voisin qui a coupé notre arbre? Qui serait encore debout pour clamer que cela n’est pas juste? Car l’idée de justice même aurait déserté notre monde. Mais rassure-toi mon enfant car nous vivons dans un pays de droit et de morale. Et nos dirigeants n’enjambent pas en se pinçant le nez le sang des enfants qui coulent jusqu’à leurs pieds. Leurs pas sont guidés par le droit et leur front éclairé par la morale. Et ce sont avant tout des hommes et des femmes qui, comme tout un chacun, portent au-dessus de tout la valeur de la vie des enfants, quelle que soit leur origine, leur confession ou leur statut social. Comment sinon pourraient-ils accepter en silence qu’on assoiffe, qu’on affame, des bébés et des femmes, des vieillards et des malades, qu’on bombarde des écoles et des hôpitaux, sans se briser de l’intérieur et s’étouffer de leur propre mutisme? Non mon amour, tout cela n’est qu’un rêve sombre qui te hante. Viens dans mes bras. Dors maintenant. Les enfants de Gaza n’existent pas.


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