Scandale de la fonderie Horne: Les élections du 3 octobre 2022 à Rouyn-Noranda

et --- 6 octobre 2023

Un extrait du livre Voyage au bout de la mine : le scandale de la fonderie Horne de Pierre Céré publié chez Écosociété

Nous sommes habités par un héritage. Ce sont ces mots qui s’imposent quand on examine les forces en présence lors des élections générales du 3 octobre 2022 dans la circonscription de Rouyn-Noranda–Témiscamingue – celles entre autres qui se sont liguées pour défaire la députée sortante de Québec solidaire, Émilise Lessard-Therrien.

J’ai eu un seul contact « direct », par visioconférence, avec Émilise Lessard-Therrien[1]. Je venais d’arriver la veille, un soir de novembre, à Rouyn-Noranda. J’étais dans mon petit appartement loué pour les circonstances ; elle était chez elle, au Témiscamingue, fort probablement encore affectée par sa défaite électorale du 3 octobre précédent. C’était la première entrevue que je faisais « en ville ». Il était 9 h du matin. Le courant a passé. J’ai vu devant moi une battante, un esprit généreux, une femme créative, tissée avec une fibre naturelle et un cœur tout en avant.

Force est d’admettre que j’ai été impressionné par ce qu’elle dégageait : une sorte de pureté, pour le moins une authenticité. On ne peut pas l’être complètement en politique, bien entendu, mais il y a chez elle ce que je constate souvent chez les gens de sa génération : une sorte de détermination à changer le monde, en commençant par leur environnement immédiat, oui, mais aussi en affrontant les grandes structures. Ça m’a ramené à une autre époque, que voulez-vous, celle de ma propre jeunesse, celle des années 1970, des combats sociaux menés en région, qui se confondaient souvent avec ceux portés par une contre-culture marginale mais en marche. Combien de mouvances sociales ont animé l’Abitibi-Témiscamingue à l’époque, et Rouyn-Noranda en particulier ? Combien de scènes ont été occupées par des artistes diffusant ces valeurs dans le monde de la musique, du théâtre, de la poésie et du cinéma ? Et je ne peux m’empêcher d’y voir une forme de transmission générationnelle. Quelque chose de beau.

Mais voilà, on a voulu abattre la beauté, celle qui dérange, qui ne rentre pas dans le rang, dans les plans d’affaires, dans le business, dans le profit immédiat, celle qui ne se présente pas à leurs cocktails. À Noranda, depuis que la mine est mine, l’establishment cherche à faire taire ses contradicteurs, ceux et celles qui tentent de changer la vie. Dans le cas d’Émilise Lessard-Therrien, les notables ont fait ce qu’ils sont habitués à faire depuis presque un siècle : ils se sont ligués contre elle. Cette alliance a été patente.

Au cours de l’été 2022, il semble que les organisateurs de la Coalition avenir Québec (CAQ) aient apporté des modifications à leur approche. Est-ce que ce sont eux qui prennent la décision de remplacer la candidate déclarée de ce parti, Claude Thibault ? On ne le sait pas. Par contre, ce qui demeure, c’est que le 29 juillet 2022, elle se désiste pour des « raisons personnelles », deux jours après l’annonce officielle de sa candidature, alors que ses pancartes électorales sont imprimées[2]. J’ai eu un échange téléphonique avec elle le 16 novembre 2022, cherchant à comprendre ce qui s’était probablement tramé dans son dos – ce que certaines personnes proches d’elle semblent confirmer. Elle m’a expliqué qu’elle ne se sentait pas à l’aise face aux enjeux concernant la santé publique et la Fonderie Horne. C’est possible.

Ce qui est certain, par contre, c’est que trois semaines plus tard, le 22 août, Daniel Bernard, l’ancien député libéral de la circonscription (de 2003 à 2007 et de 2008 à 2012), est officiellement investi de la candidature de la CAQ[3]. Au même moment, des organisateurs importants de ce parti font le voyage de Québec à Rouyn-Noranda expressément pour en affiner les stratégies. À ce sujet, mes informations sont sans équivoque. Les résultats l’ont aussi été : si, en 2018, le Parti libéral obtient 16 % du vote (4 753 voix), en 2022, il s’effondre à 4 % (1 255 voix), alors que la CAQ passe de 30 % (8 798 voix) à 45 % (12 975 voix). Le Parti québécois voit son électorat se réduire de 18 à 11 % (2 000 voix de moins), alors que Québec solidaire demeure à peu près au même point, perdant quelque 400 voix (1 % du vote) pour se retrouver à 31 %. La stratégie de la coalition anti-QS a fonctionné à plein régime.

Daniel Bernard est un ingénieur minier qui a « travaillé pour plusieurs compagnies, […] dont la minière Hecla Québec », et jusqu’au 12 octobre 2022, neuf jours après l’élection, il « était enregistré comme lobbyiste de l’Association minière du Québec », association qui « représente les compagnies minières, dont Glencore, propriétaire de la Fonderie Horne[4] ». Il était aussi conseiller municipal de Rouyn-Noranda depuis novembre 2021. Les lumières sont toutes allumées : le « front uni » libéraux et caquistes, monde entrepreneurial et bonne vieille Noranda Mines, a fonctionné. C’est comme ça aussi qu’ils ont brisé des grèves dans le passé, retardé le plus longtemps possible l’amélioration des conditions de vie des mineurs et des travailleurs de la fonderie, brisé toute velléité de changement remettant en question leurs privilèges. On est là, et nulle part ailleurs.

Émilise Lessard-Therrien peut d’ailleurs témoi­gner du fait qu’au cours de l’été 2022, un cadre de la CSN, probablement à la suite d’une initiative interne du syndicat local, a appelé une personne en position de responsabilité à Québec solidaire pour lui demander de « parler » avec sa députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue afin qu’elle change son discours sur la fonderie[5]. On lui a rapporté que l’interlocuteur de la CSN était manifestement mal à l’aise. On le serait à moins.

François Legault a ajouté une couche à tout cela. Le bloquiste Sébastien Lemire, actuel député fédéral de la circonscription, m’a livré le commentaire suivant au sujet du premier ministre et des élections du 3 octobre : « [François Legault] est revenu dans la dernière semaine de campagne [pour faire] de cette élection une question référendaire sur la Fonderie Horne : si vous votez pour Émilise, vous votez pour fermer la Fonderie Horne. Politisation et désinformation. C’est lui, le premier ministre, et il a été complètement irresponsable[6]. »

La CAQ et son chef ont joué à fond la carte du clivage. Ainsi, le jeudi 29 septembre 2022, à quelques jours du scrutin, faisant campagne dans la région de Rouyn-Noranda, François Legault multiplie les déclarations controversées : « Si la majorité de la population veut fermer l’usine, on va fermer l’usine ! […] La santé publique dit que les risques sont minimes pour la population à 15 ng/m3. Maintenant, « minime », ça ne veut pas dire « zéro ». Selon la santé publique, c’est un niveau acceptable […] Il y a beaucoup de citoyens qui ne sont pas d’accord avec les médecins […] ce que dit la santé publique, c’est que 15 nanogrammes est un niveau acceptable. Alors, il faut dire la vérité[7]. »

Ces mêmes lignes de communication, effet du hasard, sont aussi exprimées le lendemain, 30 septembre, par le Dr Luc Boileau, directeur national de santé publique, lors d’une entrevue à la radio de Radio-Canada, à l’émission Tout un matin :

Aujourd’hui, pour les citoyens qui vivent là aujourd’hui, l’immense majorité de la population de Rouyn-Noranda est dans un niveau de risque qui est, pour nous, acceptable. […] Le 15 est acceptable, pas un risque zéro, mais un risque infime. […] De dire aux gens qu’on va continuer à avoir des bébés de petit poids, qu’on va continuer à avoir des enfants qui vont avoir des déficits de développement intellectuel ou de neurodéveloppement, c’est irresponsable. [Ces médecins[8]] ce sont des gens qui sont très bien intentionnés […] mais je pense […] que dire ça sur le plan des autorités de santé, on ne donne pas l’heure juste. Il faut donner l’heure juste, les risques sont beaucoup plus faibles. […] Le principal problème actuellement à Rouyn-Noranda, ce ne sont pas les émissions, c’est l’anxiété dans la population, c’est vraiment ça. Il faut donner l’heure juste et accompagner [les gens] là-dedans[9].

Le discours des autorités est devenu très clair. Il a été claironné, sinon martelé, de part en part tout au long de la campagne électorale et dans les mois qui ont précédé son déclenchement. Ce référendum, d’une certaine façon, a eu lieu.

Est-ce que Québec solidaire s’est fait piéger par cette stratégie de la CAQ alliée aux élites économiques de Rouyn-Noranda ? Pouvait-il en être autrement ? Si nous portons un héritage, il ne faudrait pas oublier qu’il est aussi celui d’un combat qui s’inscrit dans le temps, et celui-ci se transmet.

Ce texte est tiré du livre Voyage au bout de la mine : le scandale de la fonderie Horne de Pierre Céré, publié aux éditions Écosociété. Pour en savoir plus et pour continuer la lecture et la réflexion, vous pouvez vous procurer cet ouvrage chez votre libraire préféré.


[1] Émilise Lessard-Therrien, « Arsenic : la crise dont personne ne veut parler », Le Devoir, 16 août 2019

[2] Caroline Plante/La Presse canadienne, « La candidate caquiste dans Rouyn-Noranda–Témiscamingue, Claude Thibault, se désiste », Le Devoir, 29 juillet 2022.

[3] « Daniel Bernard plonge officiellement avec la CAQ », Radio-Canada, 22 août 2022.

[4] Thomas Gerbet, « Daniel Bernard était inscrit lobbyiste pour les minières jusqu’après l’élection », Radio-Canada, 17 octobre 2022.

[5] Émilise Lessard-Therrien, op. cit.

[6] Sébastien Lemire, entrevue par visioconférence, le 16 novembre 2022.

[7] Geneviève Lajoie, « Fonderie Horne : François Legault s’emporte contre un animateur de radio de Rouyn-Noranda », Journal de Québec, 29 septembre 2022. Voir aussi Alexandre Robillard, « Certains dramatisent avec la Fonderie Horne, dit Legault », Le Devoir, 28 septembre 2022.

[8] Des médecins comme ceux du groupe IMPACTE. Ceux que l’intervieweur identifie comme des « sonneurs d’alarme ».

[9] Patrick Masbourian, « Entrevue avec le Dr Luc Boileau, Directeur national de santé publique », Tout un matin, Radio-Canada, 30 septembre 2022.