Le voile n’est pas incompatible avec le féminisme
Un extrait du livre Au Québec c'est comme ça qu'on vit de Francine Pelletier publié chez LUX
Toute féministe que je suis, je crois sincèrement qu’il y a une erreur de perception chez ceux et celles qui croient défendre la libération des femmes en interdisant le port de signes religieux. Une telle restriction ne rend surtout pas service au Québec. S’il est indéniable que toutes les religions monothéistes sont coupables de discrimination envers les femmes, et que personne au Québec ne veut retourner en arrière, il est faux de conclure que la laïcité a toujours été une alliée indéfectible de l’émancipation féministe, comme on l’entend souvent [1].
Historiquement, ceux qui militaient pour la séparation de l’Église et de l’État, les Patriotes au Québec et le Parti radical en France, se sont au contraire opposés au vote des femmes, le premier grand jalon de la révolution féministe [2]. Dans un cas comme dans l’autre, on n’avait pas confiance en la capacité des femmes de voter du « bon bord ». C’est ce qui explique pourquoi les Françaises ont obtenu le droit de vote plus tard encore (1944) que les Québécoises (1940). Le Sénat français, dominé par le Parti radical de gauche, se méfiait du côté conservateur et religieux des femmes. On les jugeait ni suffisamment éclairées ni suffisamment responsables pour avoir voix au chapitre.
Ce paternalisme se perpétue aujourd’hui. Les arguments féministes en faveur du projet de loi, servis tant par les hommes que par les femmes, présupposent un manque de libre arbitre chez les musulmanes voilées. Comme jadis, on infantilise les femmes. On les assimile à un stéréotype existant, celui de la femme dépourvue de sens politique, du sens du monde moderne ou de ce qui est bon pour elle. On s’en tient au symbole, la pauvre dévote, plutôt que de considérer la réalité ici et maintenant, en regardant ce que ces femmes ont réellement dans la tête.
La majorité des musulmanes québécoises qui portent le hijab ne le font pas par soumission à Dieu, à l’imam ou à leur mari. « Il y en a qui le portent par appartenance à une religion. D’autres, par appartenance à une communauté. Certaines le portent par pure spiritualité, d’autres par pure esthétique », explique la sociologue Leïla Benhadjoudja [3]. Ces femmes ne vivent pas au Moyen Âge, elles vivent au xxie siècle, dans un pays d’adoption, où elles tiennent à affirmer qui elles sont. Le geste ressemble bien davantage à celui des hommes juifs qui portent la kippa – une affirmation culturelle plutôt qu’un endoctrinement religieux. Après le 11 septembre 2001, beaucoup de femmes musulmanes, ici comme ailleurs, ont décidé d’adopter le voile en réaction aux vents islamophobes qui se levaient. Question de revendiquer ouvertement leur identité [4].
Pourquoi une telle affirmation culturelle, avec ce qu’elle comprend de patrimoine religieux, sera-t-elle essentielle pour la majorité francophone – pensons à la croix sur le mont Royal – mais interdite pour les minorités ? Le Québec, par définition, est l’incarnation du droit à la différence. C’est ce qui nous a permis de survivre. Pourquoi cette différence est-elle encouragée chez la majorité et découragée chez les minorités ? En quoi ces symboles d’appartenance musulmane nous menacent-ils comme collectivité ?
Le voile islamique cadre mal avec la tenue vestimentaire d’aujourd’hui et rappelle un temps révolu, c’est vrai. Mais cessons de tout confondre. Le voile imposé dans une théocratie islamiste où les femmes sont emprisonnées, battues et violées lorsque prises en défaut et le voile librement porté ici, dans un pays reconnu pour son respect des droits de la personne, sont deux phénomènes très différents. Le Québec n’est pas l’Iran. Et puis, quel pays conçoit ses lois en fonction de ce qui se passe ailleurs plutôt que sur son propre territoire ?
Oui, le voile est un marqueur d’inégalité entre les hommes et les femmes, il renvoie un signal de soumission. Mais il n’est pas le seul bout de vêtement à claironner l’endoctrinement féminin, loin de là. Que dire des mini-jupes, des talons aiguilles et des soutiens-gorge pigeonnants ? Un attirail conçu pour « maintenir les femmes en état d’accessibilité sexuelle permanente », selon la sociologue Solange Guillaumin [5]. Beaucoup de vêtements féminins, souvent imaginés par des hommes, comportent un sous-texte : celui de maintenir les femmes dans un état de vulnérabilité. Si on laisse, à raison, les femmes se réapproprier à leur guise toutes ces parures produites pour épater la galerie masculine, pourquoi n’en ferait-on pas autant pour les musulmanes portant le voile ?
Bien sûr, la connotation religieuse fait peur tandis que les petites tenues sexy ne font que plaisir. Mais encore faudrait-il que ces peurs soient justifiées. À mon avis, elles ne le sont pas. Cet essai tente de démontrer que ces craintes sont le fruit d’un opportunisme politique et d’une surenchère médiatique. Ce qui est réellement épeurant, c’est l’injonction faite à des femmes musulmanes de rentrer dans le rang, c’est la menace de leur faire payer le prix fort si elles agissent selon leur conscience, c’est l’impossibilité pour elles de disposer de leur corps comme elles l’entendent. Tout cela heurte de front le b. a.-ba du féminisme contemporain. Ces injustices ne font pas de tort qu’à ces femmes, elles appauvrissent l’idée même de liberté pour nous tous.
« Ce qui est inacceptable », soutient la féministe musulmane française Rokhaya Diallo, « c’est la contrainte et non le vêtement [6] ». Nous sommes obnubilés par un bout de tissu plutôt que de voir qu’en l’interdisant, nous cédons à l’intolérance que nous dénonçons. C’est le respect de la différence et du libre arbitre, après tout, qui distingue les démocraties des régimes autoritaires. C’est l’attaque en règle aux libertés fondamentales qui nous dessert comme collectivité, et non le petit nombre de femmes qui osent s’afficher publiquement avec le hijab.
Ce texte est tiré du livre Au Québec c’est comme ça qu’on vit de Francine Pelletier, publié aux éditions LUX. Pour en savoir plus et pour continuer la lecture et la réflexion, vous pouvez vous procurer cet ouvrage chez votre libraire préféré ou encore directement sur le site web de l’éditeur.
[1] Voir le texte de l’ex-présidente du CSF Christiane Pelchat, « Saluons le choix de la laïcité », Le Devoir, 3 avril 2019.
[2] Micheline Dumont, « La laïcité et les droits des femmes », site web de L’autre Parole, 23 septembre 2012.
[3] Isabelle Porter, « Port du voile – Les motifs derrière les apparences », Le Devoir, 23 septembre 2013.
[4] Yvonne Yazbeck Haddad, « The Post 9/11 Hijab as Icon », Sociology of Religion, vol. 68, no 3, automne 2017, p. 253 et 267.
[5] Rokhaya Diallo, « Le voile n’est pas incompatible avec le féminisme », Slate, 13 mars 2018.
[6] Ibid.
3 Commentaires
Avant de commenter ou de participer à la discussion, assurez-vous d'avoir lu et compris ces règles simples
Pourtant, il n’est pas plus adéquat d’enseigner au primaire et au secondaire en portant ‘’ des mini-jupes, des talons aiguilles et des soutiens-gorge pigeonnants’’.
Au Québec il n’y a aucune restriction sur la façon de s’habiller dans la sphère publique ou privée. Seules les personnes en autorités sont soumises à la loi de neutralité religieuse. Le fait de ne pas porter ces symboles n’enlève rien à la spiritualité individuelle et tout le monde peut bien appartenir à un groupe culturel, en l’affichant par des vêtements par exemple en dehors des heures en fonction. Ce n’est pas à la cour ni dans une salle de classe que l’on doit absolument communiquer son appartenance religieuse.
Et pour le choix individuel absolu de porter ou non le voile, comment se fait-il que mon ado doit porter un pantalon foncé autre que le jeans lorsqu’elle est à son emploi d’étudiante? Est-ce de la discrimination? Est-ce le caractère religieux prime sur le culturel?
Puis-je lui dire :’’ si tu n’es pas contente, tu as juste a changer d’emploi’’ alors qu’il serait scandaleux de le dire à une femme voilée?
Je considère qu’il n’est pas plus pertinent d’interdire aux femmes le port des talons hauts que celui du hidjab dans la fonction publique. Pourquoi? Parce que cela présuppose qu’il existe quelque chose comme un vêtement « adéquat » pour une fonction ou un travail en particulier, alors que cela relève de choix individuels qui ne regardent et ne concernent que la personne qui fait ce choix. Nous nous exprimons par nos choix vestimentaires, comme nous le faisons par nos choix culinaires, nos choix culturels, relationnels, amoureux, sexuels, etc. Imposer le même uniforme pour tout le monde (ou le même « genre » d’uniforme), dans une école privée par exemple, revient à refouler l’expression libre et spontanée de la personnalité de chacun(e); à cet égard, le message est clair : il ne sera pas permis, dans cette institution, de contester les règles, de vivre, penser, être, exister au-delà du conformisme ambiant; toute manifestation personnelle, individuelle, aussi originale soit-elle, sera sanctionnée et passible d’expulsion.
C’est exactement ce qui arrive avec le port du voile islamique dans les écoles publiques du Québec que l’on veut interdire sous prétexte qu’il constituerait une entrave au principe de la laïcité de l’État. La séparation des pouvoirs (politiques et religieux) concerne les Institutions de l’État et non les individus qui œuvrent à l’intérieur de ces institutions. Elle concerne les modes de fonctionnement, les programmes (« scolaires », par exemple), la raison d’être, les motifs à l’origine de l’établissement de ces institutions, les intérêts qui sont servis par celles-ci, les objectifs qu’elles poursuivent, la « clientèle » qu’elles cherchent à attirer, etc. En ce sens, « laïcité » équivaut à « neutralité » eu égard à la religion. Or, interdire l’expression ostentatoire d’une appartenance religieuse à l’intérieur d’une institution de l’État par un(e) de ses employé(e)s revient, pour cet État, à prendre position sur la religion (dans ce cas-ci, une position dénigrante), ce qui contrevient au principe de « neutralité » qu’Il a lui-même érigé pour assurer la séparation des pouvoirs.
Ceci dit, il faut convenir du degré élevé d’hypocrisie dans notre société eu égard à la question du port vestimentaire, particulièrement en ce qui concerne les femmes. La mode, la culture populaire, le cinéma, la publicité, les réseaux sociaux regorgent d’exemples de comportements laxistes qui mettent de l’avant la dimension sexuelle « féminine »; des parents, qui d’autre part pourraient s’avérer de farouches défenseurs de la laïcité vestimentaire dans les écoles de leurs enfants, achètent à leurs fillettes des gilets « bedaine », les laissent déambuler dans l’espace public avec des téléphones portables sur lesquels elles peuvent visionner à peu près tout et n’importe quoi, consomment eux-mêmes de la porno, s’avèrent incapables de maintenir une relation de couple sur le long terme tout en se scandalisant que certaines femmes aillent enseigner des matières « profanes » (sociologie, mathématiques, biologie) recouvertes d’un voile dont elles sont, en définitive, les seules à pouvoir juger de son sens et de sa pertinence. C’est comme l’étudiante en droit qui travaille comme « escorte » pour arrondir ses fins de mois. Dr Jekill and Mister Hyde. Concilier, dans un état d’âme schizophrénique, le vice et la vertu en déterminant, selon des critères tout aussi rigides qu’arbitraires, les bons moments pour l’un comme les bons moments pour l’autre.
Enfin, je crois qu’il est tout à fait erroné d’affirmer que : « Le fait de ne pas porter ces symboles n’enlève rien à la spiritualité individuelle et tout le monde peut bien appartenir à un groupe culturel, en l’affichant par des vêtements par exemple en dehors des heures en fonction. » Si, dans un État qui a la prétention de faire respecter la règle de « droit », on reconnaît le « droit » à l’appartenance religieuse et qu’on interdit toute forme de discrimination qui s’appuierait sur cette appartenance affichée, on ne peut pas, comme vous le faites, déterminer d’avance les lieux où ce droit sera respecté et ceux où il ne le sera pas. On a des droits ou on n’en a pas. Le « croyant » est « croyant » du début à la fin de sa journée, il ne l’est pas seulement chez lui avec ses proches et, lorsqu’il part travailler, laisse cette croyance à la maison pour se conformer à l’ambiance de la société où il évolue. Lui interdire d’afficher cette croyance (qu’elle soit religieuse, culturelle, politique, idéologique) dans certains endroits, à certains moments revient à l’obliger d’abjurer sa foi pendant une partie importante de sa vie, ce qu’il ne peut accepter. Et il a bien raison de ne pas le faire…
Mario Charland
Shawinigan
Pourrait-on détricoter un peu certains éléments?
Le hijab est un marqueur d’identité culturel, un porte-étandard et un instrument de dissidence face à certaines valeurs québécoises, mais admis, toléré et protégé par une des société du 21e siècle les plus accueillantes de la planète. Il n’est ni coranique, ni prescrit (ou proscrit) par Mohamed, ni ne fait partie des injonctions proférées par Allah. Il est politique et en ce sens il a le droit de cité dans un état de droit. S’il fait problème dans le débat féministe, c’est qu’il propose un biais cognitif qui n’a aucun lien psychologique ou philosophique avec l’affirmation de la condition féminine, son expression, ses manifestations ou son identité. Il désigne un mode d’être qui fait la promotion d’une volonté de s’imposer dans l’espace socio-géographique et politique pour vivre en terre d’Islam partout où on le lui permet.
D’autre part son caractère intrusif dans l’espace public défend le rétablissement du califat et est fédéré par une très grande majorité de ses défenseurs parmi les leaders religieux radicaux et intégristes. Il est faux de prétendre que le voile est porté par les musulmanes modérées, libérales et tempérantes. Il ne se porte que pour marquer une « séparation » et identifier une réalité qui départage le vrai du faux, le bon du mauvais, l’authentique de ce qui ne l’est pas: tant sur le plan du « croire » que sur celui de l’éthique ou des moeurs, ce qui est le propre du fondamentalisme, qu’il soit scientifique, politique, philosophique, psychologique, religieux ou artistique. Ce fondement n’a absolument rien à voir avec un mouvement de défense d’identité sexuelle, de sa sociologie, ni de son anthropologie sociale. Or, la question centrale que l’autrice ne pose pas et dont le propos évacue ontologiquement la finalité, est celle qui concerne le fait qui si le voile n’est pas religieux, pourquoi l’interdire pour les employées de l’État en position d’autorité ou l’obliger dans les factions sectaires de L’Islam radical? Parce que prétendre qu’il l’est est une affabulation mensongère et de la supercherie, une instrumentalisation du religieux à des fins politiques et un outrage au message coranique. Tout ce dont n’ont pas besoin les élèves dans nos salles de cours d’une part et ni celui de l’enchevêtrement obscurantiste du religieux et de l’État dans l’administration de la « res publica », d’autre part.