Le chant des oiseaux
Nous sommes aujourd’hui les contemporains d’une grande inquiétude
[NDLR] Depuis quelques semaines, le milieu des arts et spectacles québécois se mobilise pour réclamer non seulement une bonification du financement en recherche et création dans le budget de la culture, mais aussi une meilleure répartition des sommes existantes. Ces prises de position ont donné lieu au Front commun pour les arts et à une et une lettre-pétition dans laquelle des centaines d’artistes exigent des réponses à leurs questions.
Dans la foulée, le 28 octobre dernier, lors du Forum sur les arts vivants et la culture organisé lundi par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), l’auteur et metteur en scène Dominic Champagne a été invité à participer à un panel de discussion. Pour ce faire, il avait préparé un texte qui tient sur quelques pages, afin de proposer de manière poétique des éléments de réflexion sur l’essence du travail artistique dans nos sociétés. Fort malheureusement, ces forums sont peu propices aux prises de positions qui sortent du cadre rigide et protocolaire des discours formatés propres au monde des affaires et aux stratèges politiques. On lui a donc demandé, plutôt cavalièrement, de mettre un terme à son allocution.
Nous publions donc ici le texte de son allocution afin que sa prise de position puisse être entendue.
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LE CHANT DES OISEAUX
Chambre de commerce du Montréal métropolitain
Forum stratégique sur les arts vivants et la culture – Place des Arts
Depuis qu’on m’a invité à prendre la parole ici
Une phrase de Victor Hugo me trotte dans l’esprit
Que vous me permettrez de citer de mémoire :
C’est le matin du monde,
L’aube de notre civilisation
Homère chante
C’est l’oiseau de cette aurore
Avec ces deux poètes,
Qui du haut des siècles contemplent notre civilisation
Je vous demande aujourd’hui
Que seraient nos matins sans le chant des oiseaux?
Et que serait notre civilisation
Sans tous ceux et celles qui depuis Homère
À force de chants, de musiques, de danses et de poésies
Pyramides, cathédrales et symphonies
Ont façonné ce que nous sommes?
Nous sommes aujourd’hui les contemporains
D’une grande inquiétude
Qui a pris ces derniers temps les allures d’une crise
Dont on perçoit maintenant les catastrophes
À l’œil nu et à l’oreille
La phrase de Victor Hugo m’est remontée à l’esprit
Quand on a fait état, il y a une dizaine de jours
Du déclin alarmant des populations d’oiseaux au pays
Une chute marquée, qui va jusqu’à la disparition
Chez certaines espèces.
Dévastation causée par l’activité humaine
Et aussi, il faut le dire, par le comportement des chats
Qui boufferaient 100 millions d’oiseaux
Chaque année au pays
C’est dans les plaines de l’ouest canadien
Que la dévastation serait la plus marquée
À cause de l’usage des pesticides dans la culture du blé
Poser la question du financement de la culture
C’est se demander dans quelle civilisation
Nous voulons vivre
Et jusqu’où nous serons capables,
Maintenant que nous sommes alertés
De faire un usage sage et viable
Des moyens qui sont les nôtres
De toutes ces techniques
Dont nous avons acquis la maîtrise
Depuis le jour où Prométhée a volé aux dieux le feu
Pour en faire don à l’humanité
Et par là lancer la grande aventure de ce que les Grecs appelaient la technè
La maîtrise des métiers et des arts
De la culture à l’agriculture
Les artistes
Dont le métier est de ressentir et d’exprimer
Les grandeurs et les obscurités de l’âme humaine
Sont des canaris dans la mine
Je présume que ce qui nous réunit ici ce matin
C’est le désir d’apporter des solutions concrètes
Pour inverser la tendance lourde
Qui réduit les oiseaux au silence
Au Québec, et plus particulièrement à Montréal,
Les remèdes à cette crise de la culture
Sont d’autant urgents et stratégiques
Que nous assistons à un changement démographique rapide
Et que nous avons besoin
Plus que jamais peut-être dans notre histoire
De nous rassembler autour des chants
Qui savent faire exister
L’harmonie
Et la préserver quand elle est menacée
Si nos économies ont besoin de prospérités
Nos vies ont besoin de sens
Et la culture est là pour ça
Dans une ville, un pays qui s’éveillerait un beau matin sur un monde
Où le chant des oiseaux ne célèbre plus le retour de la lumière
Les citoyens s’en voudraient assurément
De s’être laissé divertir
De l’évidence et de l’essentiel
Par la quête aveugle d’une prospérité industrieuse
Qui aurait fait l’économie du sens
Et de la beauté
Je crois sincèrement que c’est la vie de l’esprit
Qui peut nous sauver
Du matérialisme mortifère
Où nous sommes en train de sombrer
Face à cette peur et à cette menace
Sachant à quel point nous avons
Tous et toutes grand besoin de nous engager davantage
De ce côté-là des choses
Rappelons-nous à quel point
Montréal est une ruche pleine de vitalité
Bien vivante, féconde et créatrice
Et que si nous avons le complexe d’Astérix
C’est que la culture est notre potion magique
Il n’y a pas de doute dans mon esprit
Que le soir où nous entendons
Depuis le cœur de la Tour Eiffel
Résonner la voix de Céline Dion avec tant de noblesse
Et porter haut et fort le chant
Qui réunit ceux qui s’aiment
Il n’y a aucun doute que si cette reine,
Brillant de tout son miel, existe
C’est qu’une ruche l’a mise au monde
Soyons ici ce matin ceux qui aiment passionnément
Le chant des oiseaux
Et qui ont à cœur de vivre dans une société
Capable de se donner les moyens de les protéger
Et de les faire entendre
Haut et fort, encore et encore
Sortons d’ici aujourd’hui plus inspirés que jamais de l’importance
Non seulement de créer une richesse qui soit viable
Mais de savoir la partager
Avec les abeilles ouvrières qui butinent le nectar
Comme avec les faux-bourdons rêveurs
Qui attendent patiemment le jour
Où ils pourront faire à la reine
La cour qui la rendra féconde
Et toute la ruche avec elle
À ceux et celles qui ont le pouvoir d’investir
Dans la ruche le fruit de nos impôts
Je voudrais confier un secret
J’ai longtemps œuvré pauvrement dans un théâtre pauvre
Et quand j’ai signé mon premier contrat avec le Cirque
Des gens avisés voulant m’éviter – je les cite : de me faire laver par l’impôt
M’ont conseillé de prendre une adresse dans un paradis fiscal
Après leur avoir répliqué que je n’allais me prêter à aucune pratique illégale
Ils m’ont bien fait comprendre que leur proposition
Était non seulement tout à fait légale
Mais pratique courante chez certains créateurs de richesse
Le problème n’est pas tant l’argent
Que l’usage qu’on en fait
Loin de moi l’idée de vouloir réduire
Les bienfaits de l’art
À leurs bénéfices financiers
Je n’ai pas fait le compte exact des subventions que j’ai reçues
Qui m’ont permis de faire mes premiers pas dans mon petit théâtre
Mais je sais que les impôts que j’ai payés grâce à mes spectacles
Ont très largement, au centuple, compensé les investissements publics reçus
Si notre civilisation s’enrichit
Au détriment d’une vie qui s’appauvrit
Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond
Un jour, pour faire rouler l’économie
Nous avons vidé de leur sens les dimanches
Journées consacrées aux loisirs
C’est-à-dire au temps improductif dédié à la culture
Avons-nous alors marqué nos semaines
D’un si grand progrès?
Je fais le rêve que nous nous engagerons résolument
À nous investir à fond envers ceux et celles qui se dédient
Corps et âme
Aux manifestations de l’esprit
Qui donnent un sens à nos vies
Et que ces investissements
Dans la vitalité et la qualité de notre culture
Dans la beauté de notre monde
Nous éloignent de l’enlaidissement et de la dévastation en cours
Il est urgent de trouver les moyens
D’accroître le soutien aux artistes
Et peut-être encore davantage d’encourager
La fréquentation de la beauté
Pour que la pollinisation de tout ce qui
Fleurit notre monde
Et nous nourrit
Que toutes ces œuvres et tous les espaces intérieurs
Qu’elles font et feront naître
Nous permettent d’envisager la suite de notre monde
Et de notre humanité
Avec confiance
Et qu’avec les petits oiseaux nous puissions
Vivre dans la dignité
2 Commentaires
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Mon oiseau est mort
Mon oiseau est mort
la mine s’effondre
Les lendemains ne chantent plus,
ils pleurent.
Ton au-delà a tué mon ici-bas.
Ta terre m’atterre,
la mienne te gêne.
Ton bien,
peu commun,
efface la vie de la vie,
sans combler ton âme
morte d’inanition.
Le ciel se vide d’ailes
comme le projet de sens.
S’éteint la dernière hirondelle
avec de l’homme son étincelle.
L’ange de la mort sale
se terre dans son paradis fiscal.
Fléau d’un luxe insignifiant
fruit d’âmes désertes,
porteur des graines
de son anéantissement.
Que peuvent la beauté et la vie
face aux ravages de mirages frelatés.
L’avide ne fait le plein
que d’illusions assassines.
Quand la lie de l’humanité s’en croit la crème,
la sagesse du sauvage
ne peut rien pour la vacuité du puissant.
DANS UN JARDIN FLEURI
dans un jardin fleuri
un événement solennel réunissait
des souverains de toutes espèces
et des spécimens royaux de tout acabit
la reine des fourmis et la reine des abeilles
toutes deux enceintes jusqu’aux oreilles
déambulaient nonchalamment
en médisant sur les géniteurs
des armées de soldats stupides les suivaient
un grand lion paresseux
se faisait servir son repas
par une de ses compagnes
et pérorait devant le gratin
qu’il était le seul vrai roi des animaux
arrivé à pied mais néanmoins à l’heure
le manchot empereur
refusa qu’on le soulage
de l’œuf coincé dans son bourrelet
une belle occasion pour le jeune lança-t-il
l’aigle royal se posa dans son habituel fatras de plumes
suivi du roitelet son acolyte
et de l’inévitable cardinal
suffisant dans sa pourpre
mais sans prise réelle sur le peuple des oiseaux
d’autres royautés obscures posèrent le pied dans l’enceinte
un python royal qu’on devait garder à distance du cobra tout aussi royal
un crabe royal tendait sa pince barbelée à tout le monde
l’hoplostète s’attristait que son empire soit en déclin
la palourde royale quant à elle offrait encore son spectacle indécent
sur le plancher le buzz régnait
les journalistes écoutaient les anecdotes redondantes
et notaient des déclarations assassines
pendant que les paparazzis postés au parterre
chassaient les poses incongrues
et se délectaient des rapprochements improbables
soudain cessèrent toutes les fanfaronnades bourdonnements et autres clapotis
tous les regards se tournèrent vers l’arche d’entrée
un monarque se posa délicatement sur une fleur du domaine estival
pour butiner en silence sans arrière-pensée
il balaya l’assemblée dans un regard bienveillant
et esquissa un large sourire
puis le lépidoptère haussa les épaules
et sans se péter les bretelles
ouvrit lentement ses ailes
décorées comme des vitraux de cathédrale
la grâce la pure beauté l’élévation intérieure
ont mis le temps en suspens
et pris le pas sur l’orgueil et le bruit
je me suis approché sans brusquerie
et j’ai senti sur ma joue
le vent de ce battement d’ailes