Où sont passés les leaders d’antan?

--- 26 septembre 2022

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 « C’est vrai que je suis un homme d’envergure moyenne…Mais comme je ne vois pas de géant autour de moi, je me porte candidat ».

Cette réplique, tirée du film Il Divo (Paolo Sorrentino 2008), est attribuée à Giulio Andreotti (1919-2013), le fondateur du parti de la Démocratie chrétienne en Italie. Ce politicien a battu des records de longévité en dirigeant sept gouvernements entre 1972 et 1992 , en siégeant à l’Assemblée constituante, puis à la Chambre des députés, avant d’être nommé sénateur à vie.

En observant la scène politique actuelle, ici et ailleurs, on se demande si plusieurs aspirants à diriger le pays ou la province n’ont pas pensé la même chose qu’Andreotti au moment de briguer les plus hautes charges.

On verse alors dans la nostalgie et on se prend à regretter le temps des leaders charismatiques, plus grands que nature, capables de nous tirer collectivement vers le haut, d’incarner le souci du Bien commun, de nous convaincre de sacrifier nos petits intérêts personnels au nom de l’Intérêt général; des politiciens  qui savent traduire leurs promesses électorales en projet de société; en somme, des leaders qui transforment des préoccupations à première vue anecdotiques , en grands chantiers et en enjeux « macro ».

On se met ainsi à rêver à des leaders qui nous proposeraient une vraie vision de la santé et de l’éducation, nourrie par une réflexion profonde sur les finalités de l’école et sur les impératifs éthiques sous-jacents à un système de santé digne d’une société dite évoluée.

Il y a quelque chose de pas très édifiant dans ce spectacle offert par des aspirants premiers ministres qui comptent les morts, les lits manquants et les patients inscrits sur les listes d’attente, en accablant et en promettant de faire mieux que leurs prédécesseurs, alors que trois partis se sont succédés au pouvoir depuis 25 ans (Le PLQ, le PQ et la CAQ) sans pouvoir régler à la source les problèmes structurels du réseau de la santé.

Il y a aussi quelque chose de désolant à voir des commentateurs politiques chercher dans le langage non verbal des candidats quelques traits de génie ou des marques de profondeur qui ne percent pas le mur de leur plateforme électorale et semblent absents de leurs discours explicites.

Revenons toutefois à nos leaders d’antan, inspirants et plus grands que nature : ont-ils vraiment existé ou est-ce la médiocrité de la scène politique actuelle et la nostalgie qui nous poussent à les idéaliser?

A l’ère des dénonciations sur les réseaux sociaux, de l’exhumation des cadavres et de la recherche de squelettes dans les placards, ces héros du passé auraient-ils échappé à un scandale sexuel, éthique et autres affaires de mœurs ou de collusion ?

On pense notamment aux dossiers juteux accumulés sur des personnages au-dessus de tout soupçon par J.Edgar Hoover, le redoutable patron du FBI, qui a dirigé ce bureau pendant trente-sept ans et qui faisait trembler des personnalités  de tous les milieux (politique, artistique, économique ).

Ces leaders plus grands que nature sont peut-être comme les bancs de neige de notre enfance : si on en avait jusqu’aux épaules, c’est parce qu’on mesurait 25 cm de moins (encore que, le réchauffement de la planète y est aussi pour quelque chose).

Et pourtant, on en trouve aujourd’hui, de ces êtres dotés de cœur et de raison, d’envergure intellectuelle et de sens pratique, qui sont capables d’attacher leur charrue à une étoile, qui ont le courage de poser des gestes impopulaires lorsque nécessaire et de se remettre en question ou de reculer quand il le faut.

On en croise dans nos milieux professionnels, dans nos activités bénévoles, dans les différents cercles au sein desquels nous évoluons.

Et si on les incite à se lancer en politique active, surtout quand on entend leur jugement lapidaire sur la pauvreté des choix qui s’offrent à nous, leur réponse est sans appel : « la politique partisane, moi, jamais ! La ligne de parti, les petites compromissions, les épluchettes de blé d’inde, le porte à porte, les horaires de fous, la vie privée reléguée au second plan, le cirque à l’Assemblée nationale, les attaques personnelles mesquines, les caricatures dans les journaux, le déchirage de chemise sur commande et l’indignation à géométrie variable, les putschs, le culte du chef, patauger dans l’adversité au quotidien jusqu’à en devenir misanthrope ou parano … Non merci! ».

En effet, on ne peut vraiment pas parler de transcendance chez nos politiciens actuels, mais force est de reconnaitre qu’ils ont la couenne dure et une motivation d’enfer pour endurer tout cela !

Il y a des compensations, bien entendu (un coupe file pour une nomination en guise de prix de consolation, un poste de conseiller expert dans le secteur privé, de professeur invité à l’université ou encore une tribune dans les médias après une carrière politique); mais ces cadeaux pour « services rendus à la nation » ne sont pas pour tout le monde et encore faut-il avoir subi l’épreuve du feu et les aléas de la vie politique. Le jeu en vaut-il la chandelle?

Mais qui nous empêche de faire de la politique autrement?

Au-delà du slogan, faire de la politique autrement, c’est quoi au juste ?

Est-ce faire le pari de la transparence, être honnête, explicite et sans équivoque dans la présentation de son programme, au risque de s’aliéner une partie de l’électorat qui nous était acquise et qu’on gagnerait à garder dans notre giron en cultivant l’ambiguïté ?

Est-ce s’élever au-dessus des considérations partisanes et tisser des alliances avec des adversaires politiques pour traiter une question d’éthique sociale, comme ce fut le cas au Québec lorsqu’il a fallu voter la loi sur le droit de mourir dans la dignité?

Ou encore marquer une rupture en transgressant les codes écrits et non écrits de l’Assemblée nationale (normes vestimentaires, niveau de langage, décorum, etc.) ?

Faire de la politique autrement, est-ce refuser de fédérer, choisir de sacrifier des pans entiers de la population, se poser en seul et unique porte-parole du vrai monde et accuser par le fait même ses adversaires d’être au service des élites ou du « faux monde » ?

Mais il se trouve que chacun peut bien se fabriquer son vrai monde.

Le vrai monde de Duhaime n’est pas le même que celui de Nadeau Dubois ou celui de Saint Pierre Plamondon.

Le vrai monde que Legault veut protéger contre les effets indésirables de l’immigration massive (le bon québécois moyen pacifique) n’est pas celui que le même Legault veut rassurer en ouvrant la porte à des travailleurs formés dans des domaines précis (le bon chef d’entreprise aux prises avec une pénurie de main d’œuvre).

A-t-on les leaders qu’on mérite? Pas sûre! Je parle ici de leaders au sens large, de chefs de partis, pas seulement celui ou celle qui sera élu le 3 octobre prochain.

On a peut-être les leaders dont on a besoin. Ceux qu’on a choisis, parce qu’ils nous ressemblent, parce qu’Ils nous rassurent, parce qu’Ils nous fournissent des réponses simples à des questions complexes, parce que leurs priorités rejoignent les nôtres. 

Si je suis parent aidant, épuisé par la charge, je suis probablement plus sensible aujourd’hui au discours d’un aspirant chef qui fait de la santé son dossier prioritaire. Si je suis jeune parent, un ou une cheffe qui met l’accent sur l’éducation et la conciliation travail-famille me touchera peut-être davantage à cette étape de ma vie. L’intérêt général attendra. Bien souvent, on réduit le Bien Commun au seul chantier de l’environnement, pour se donner bonne conscience.

Et si on avait tout simplement les leaders auxquels on a décidé de déléguer (pour ne pas dire abdiquer) ces affaires de la cité dont on ne veut pas se mêler, par indifférence, par désillusion, par manque d’intérêt, par sentiment d’incompétence ou par désengagement?


Rachida Azdouz est psychologue, autrice et chroniqueuse. Chercheure affiliée au LABRRI, son programme est modeste : résister aux injonctions, surveiller ses angles morts, s'attarder aux frontières et poursuivre sa quête.

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