Pratiquer le stoïcisme aujourd’hui avec Massimo Pigliucci

--- 23 août 2022

Parmi les auteurs qui ont beaucoup contribué au retour du stoïcisme, une importante place doit être faite à Massimo Pigliucci

Massimo Pigliucci Photo: Terry Robinson - Wikimedia Commons

L’interminable Covid et ses terribles effets sur nous, et en particulier sur notre santé mentale; les réseaux sociaux, qui sont de moins en moins un endroit où discuter et de plus en plus un endroit pour se faire insulter. J’ai eu envie de chercher et de proposer un peu de réconfort du côté des stoïciens. Alors voilà…

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Les stoïciens? Le stoïcisme est une philosophie de l’Antiquité grecque et romaine. Il n’a jamais été oublié, (parmi ses plus célèbres théoriciens et praticiens on compte Épictète, Sénèque et l’empereur romain Marc-Aurèle), et il connaît ces temps-ci un important regain d’intérêt.

Parmi les auteurs qui ont beaucoup contribué à ce retour du stoïcisme, une importante place doit être faite à Massimo Pigliucci, biologiste et philosophe américain d’origine italienne à qui je veux donner ici un coup de chapeau.  Pigliucci a énormément fait pour faire connaître le stoïcisme, pour le faire connaître comme philosophie, bien entendu, mais aussi pour rappeler qu’il est aussi, et n’a jamais cessé d’être, un mode de vie, comprenant notamment ce qu’on appelle parfois des « exercices spirituels » que beaucoup de ses praticiens trouvent utiles et efficaces — et donc quelque chose de très concret.

Je vous propose cette fois un très (trop…)  bref rappel de ce qu’est le stoïcisme (je suggère à la fin de ce texte des ouvrages pour qui voudrait en savoir plus), mais surtout je vous indique quelques-uns de ces exercices que Pigliucci recommande et (pour certains) qu’il pratique régulièrement.

Le stoïcisme en quelques mots

Il était une fois un homme appelé Zénon. Il était originaire de la ville aujourd’hui appelée Chypre et alors appelée Citium, d’où le nom sous lequel l’histoire se souviendra de lui : Zénon de Citium (env. -334 – env.- 262). C’est un commerçant et un jour un bateau plein de siennes marchandises en route vers Athènes fait naufrage avec lui à bord. Tout le  chargement est perdu, il y a des morts ; Zénon lui, s’en tire et arrive à Athènes. Il vit une immense catastrophe, un malheur effroyable.

Le hasard le conduit à une librairie dans laquelle on lit les Memorabilia  de Xénophon, qui racontent la vie de Socrate et présentent ses idées. Zénon tombe sous le charme et demande au libraire où il peut rencontrer un philosophe. La petite histoire veut qu’il en passe justement un dans la rue, Cratès de Thèbes. Le libraire le lui désigne.

Zénon deviendra son élève puis fondera sa propre école. Comme il enseignait sous un certain portique, cette école tirera son nom du mot grec pour désigner ce portique (stoa) : le stoïcisme.

En un trop bref mot, le stoïcisme comprend trois domaines : la physique, ou l’étude de la nature, du monde; la logique, ou l’art de raisonner correctement; et l’éthique, qui permet de bien se conduire.

Le stoïcisme, explique Pigliucci, «est une philosophie d’amélioration personnelle qui met l’accent sur une vie raisonnable et pro-sociale […] qui veut nous apprendre à gouverner nos vies de l’intérieur, selon notre propre boussole morale, plutôt que d’être bousculés par des forces et des facteurs extérieurs.» Bref : nous sommes des êtres sociaux et capables de raisonner et nous devrions aspirer à vivre une vie en conformité avec cet état naturel, à ce que nous sommes réellement.

Pour y arriver, le stoïcisme avance deux idées qui sont comme les piliers sur lesquels il se déploie et qui vont suggérer ces exercices que je veux vous présenter. Ces piliers (Pigliucci les présente ainsi) sont : les quatre vertus cardinales et la dichotomie du contrôle.

Je dois aller vite, mais rappelons ce que sont ces vertus. La sagesse pratique, rappelle Pigliucci, permet de faire la différence entre ce que nous pouvons et ne pouvons pas changer. Le courage, notamment, n’est pas seulement physique, mais d’abord et avant tout moral : le courage de se lever et de faire ce qui est juste. La justice, elle, nous indique la bonne chose à faire. La tempérance, de son côté, est une notion selon laquelle nous devons faire les choses dans la bonne mesure, sans réagir de manière excessive aux situations ni ne pas en faire assez pour corriger les choses.

Quant au second pilier, la dichotomie de contrôle, «il a été, dit Pigliucci,  résumé par Epictète, l’esclave devenu professeur,  au début de son manuel pour une bonne vie, l’Enchiridion. Alors que nous pouvons exercer une influence notre corps, nos biens, notre réputation et notre fonction, en fin de compte, ils ne sont pas sous notre pouvoir. Même le corps le plus sain peut être frappé par la maladie ou un accident. Votre propriété peut vous être retirée pour un certain nombre de raisons. Et votre réputation peut être ruinée par les ragots et les intentions malveillantes d’autrui. Par contre, vos opinions, votre motivation, vos désirs, vos aversions et d’autres choses semblables sont de votre ressort et si elles peuvent être influencées par d’autres personnes, elles relèvent en fin de compte de votre responsabilité. D’autres peuvent essayer de changer vos jugements et opinions, ou de vous faire adopter un autre ensemble de valeurs : mais c’est à vous que revient en bout de piste la responsabilité en ces matières»

Mais venons-en à du concret, à ces exercices que recommandent les stoïciens.

Les exercices spirituels que pratique couramment Pigliucci

Dans un superbe cours consacré au stoïcisme auquel j’ai fait référence dans ce qui précède, Massimo Pigliucci dit pratiquer régulièrement certains exercices spirituels dans le but de devenir une meilleure personne selon l’idéal stoïcien.

Les voici:

  • Il se demande, avant de faire quoi que ce soit, quelles parties de la tâche en vue sont sous son contrôle et lesquelles ne le sont pas; puis, il s’efforce de se concentrer sur ce qu’il peut contrôler.
  • Au moins une fois par semaine, il s’impose de (légers) exercices ou épreuves, comme jeûner pendant une journée ou se promener dans le froid sans être  correctement habillé. Ce n’est pas par masochisme, assure-t-il, et il invoque ici le mot  du stoïcien Musonius Rufus qui disait que nous devrions nous rappeler que nous pouvons vivre sans certaines commodités et être reconnaissants pour ce que nous avons et prenons souvent pour acquis.
  • Un autre exercice qu’il pratique est destiné à lutter contre la pression constante et contre la tentation qui en découle d’acheter des choses dont nous n’avons pas besoin. De temps en temps, Massimo choisit donc  une semaine entière pendant laquelle il n’achète rien d’autre que des produits de première nécessité.
  • Il ne sort jamais de chez lui sans se rappeler qu’il a deux objectifs en tête :  faire ce qu’il s’apprête à faire et rester en harmonie avec lui-même et ses semblables.
  • Peut-être que la pratique stoïcienne la plus importante pour lui est le journal philosophique du soir qu’il tient, qui est un moyen de réfléchir à ce qu’il a fait de bien, ou de moins bien, et d’apprendre de son expérience.

Voici quelques autres exercices spirituels stoïciens qui vous seront peut-être utiles. (Je les ai présentés dans un autre texte consacré au stoïcisme.)

La méditation du matin. Le matin, on s’isole entre 10 et 15 minutes dans un lieu calme et on passe en revue le jour qui vient, les difficultés qu’on pourra rencontrer et les vertus [tempérance, courage, sagesse, justice)  qu’il faudra  alors déployer, en se demandant comment un sage qu’on a pour modèle le ferait.

Le Premiditatio malorum consiste à imaginer le pire afin de  s’y préparer.  

Le Cercle d’Héraclès consiste à partir de soi en imaginant un cercle au centre duquel on se trouverait et à élargir progressivement  ce cercle pour y inclure sa famille, ses amis, sa ville, son pays, et pour finir toute l’humanité. L’effet attendu est de comprendre que l’on fait modestement partie d’un tout et d’ainsi relativiser ce qui nous arrive.

Les stoïciens anticipent sur ce qu’on appelle aujourd’hui la «pleine conscience» en nous invitant à se rappeler que toutes les décisions que l’on prend ont une dimension morale, à laquelle nous devons penser.

Ils recommandent encore de méditer des maximes stoïciennes, chacun pouvant bien sûr établir sa propre liste de maximes préférées.  Voici certaines des miennes.

«Il t’est permis, à l’heure que tu veux, de te retirer dans toi-même. Nulle part on n’a de retraite plus tranquille, moins troublée par les affaires.» (Marc-Aurèle).

«L’adversité est l’occasion de la vertu.» (Sénèque).

«Ce qui tourmente les hommes, ce n’est pas la réalité mais les jugements qu’ils portent sur elle. »(Épictète)

La maîtrise de soi. Selon les stoïciens, celle-ci est comme un muscle et il faut donc l’entraîner. Pour cela, on se privera volontairement d’un plaisir (une boisson, un aliment) ou on ira jusqu’à des privations plus importantes (avoir volontairement faim).

Pour en savoir plus, le cours de Pigliucci dont je parle ici est : Think like a Stoic. Ancient Wisdom for Today’s World. (The Great Courses).

Il a aussi écrit :

A Handbook for New Stoics: How to Thrive in a World Out of Your Control―52 Week-by-Week Lessons, The Experiment , 2019.

How To Be A Stoic: Ancient Wisdom for Modern Living, Rider, 2017.

On lira aussi:

Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même

Épictète, Manuel.

Accessibles ici :

[http://classiques.uqac.ca/classiques/Marc_Aurele/Pensees_pour_moi_meme/Pensees_pour_moi_meme.html]


Normand Baillargeon est un philosophe qui a écrit, dirigé, ou traduit et édité plus d’une soixantaine d’ouvrages traitant d’éducation, de philosophie générale ou politique, d’art et de littérature et d’enjeux sociaux d’actualité. En plus d’articles académiques, il publie régulièrement des chroniques pour divers journaux et revues. Il est en ce moment chroniqueur en éducation au quotidien Le devoir.

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