À propos de la diversité
Il s’agit aujourd’hui de s’unir contre ce qui menace la diversité du vivant et de l’humain, non pas s’unir en dépit du fait qu’on soit différents, mais bien parce que nous le sommes.

La notion de diversité apparut rapidement dans ma vie. Avant même que je prenne conscience de ma propre marginalité, j’étais un enfant que le ciel troublait. Je n’avais même pas neuf ans que cet infini de l’espace et du temps me donnait le vertige. J’avais beau être croyant, à l’église tous les dimanches, entre clochettes et encens, la foi n’éclairait en rien pour moi le miraculeux mystère entourant l’existence et la vie. Au début était le verbe ? Au début était l’énergie ? Au début était Dieu ? Au début était la singularité ? Qu’au début, il y ait eu ceci ou cela, force était de constater que la chose indéfinissable en question avait laissé place à une formidable diversité cosmique, moléculaire, stellaire avant de s’exprimer de même manière, aussi diversement, dans ce sensible éphémère qu’on nomme le vivant.
Cette évidence précocement constatée a fait de la diversité l’étoile Polaire de mon jeune firmament philosophique. Aujourd’hui, elle demeure pour moi ce qui se rapproche le plus d’une valeur absolue. Je sais. Moi non plus, je n’aime pas trop cet adjectif. J’ai bien dit « se rapproche »… Sauf qu’elle s’en rapproche sérieusement ! De la mystique intuition initiale jusqu’à la manifestation écologique de sa valeur intrinsèque, en passant par son rôle incontournable dans la genèse de la beauté comme de la santé, tout plaide en faveur de ce rare absolu inclusif qu’est la diversité.
Une autre vertu de cette valeur tient au fait qu’elle porte en elle-même un arbitrage qui lui est constitutif. À la question : Toute diversité est-elle bonne ? Elle répond : oui, à moins que la singularité en question ne détruise plus de diversité qu’elle en crée. Permettez cet exemple qui, pour être brutal n’en est pas moins clair : si ta spécificité consiste à découper tes amoureux en morceaux, puis à les conserver en saumure dans des bocaux, ta singularité est grande certes, mais elle est en totale violation de la valeur diversité ! On ne pourra jamais défendre, au nom d’une telle valeur, une forme de singularité dont la spécificité est de s’attaquer aux différences.
À la lecture de ce qui précède, vous vous dites sans doute que les dernières décennies ont eu de quoi me réjouir. Jusqu’à un certain point, oui. Mais pas tant que ça.
La mode arrive à rendre superficiel tout ce qu’elle touche. Et quand je dis « la mode », j’inclus les courants de pensée et la plupart des ismes. Art et philosophie y sont souvent réduits en baume analgésique, en lubrifiant social, voire en ciel de lit métaphysique ou même en justification du pire. On ne garde souvent d’une grande d’idée que quelques-unes de ses expressions, exemples et cas particuliers, qui deviennent les synonymes bancals et réducteurs de l’idée en question.
Dans le cas de la diversité, c’est précisément ce qui s’est passé : là où on aurait dû systématiser la lutte contre l’ensemble de nos réactions primaires, bêtes et brutales face à la différence, quelle qu’elle soit, nous avons plutôt décidé de jeter notre dévolu sur certaines différences en particulier. Bref, on a choisi nos exclus. Nous avons fait ces choix souvent pour des raisons, fort compréhensibles, de nature historique et sociale, mais aussi, parfois, pour leur attrait médiatique. Dans tous les cas, une étroitesse politique est venue se substituer à une vaste quête morale, celle d’un profond changement d’attitude devant la différence de l’autre, quête infiniment plus inclusive à laquelle, c’est mon intuition, la majorité silencieuse se serait jointe plus volontiers.
Un impératif d’inclusion qui exclut tant de gens, tant de points de vue, tant de nécessaires nuances ne peut qu’être contreproductif. Malheureusement, le risque est grand pour certaines minorités surexposées, alors qu’elles n’en demandaient pas tant, d’en faire les frais.
En ce moment de l’anthropocène, en cette étape cruciale de notre long processus d’humanisation, la diversité s’avère un maître mot : écologiquement, culturellement, socialement, économiquement. Pourtant, à l’heure de la mondialisation numérique, de l’homogénéisation des cultures, elle sera attaquée de partout. Et la diversité nationale n’y échappe pas. D’ailleurs, je n’ai jamais vu mon engagement envers la souveraineté du Québec autrement. Pour moi, ce combat représente un autre important créneau de la défense du droit d’être autre. Nous sommes infiniment moins nombreux, riches ou puissants que notre voisin ? Ça ne doit jamais remettre en question notre droit à la différence identitaire. C’est une question de fierté.
En passant, saviez-vous que « fierté » vient du latin « ferus », qui signifie « sauvage», par opposition au très domestiqué« mansuetus » ? Sous cet angle, la fierté se présente comme un sentiment moral clairement rattaché à la valeur dont nous parlons ici. Ce sentiment est une force d’affirmation du droit légitime à la différence, une force d’opposition à l’aliénation, à la soumission. Le patriarcat, avec son leitmotiv « il ne peut y en avoir qu’un », ne déteste rien autant que la diversité. Il sait très bien qu’il peut s’y dissoudre. Ce n’est pas pour rien que MAGA en fait une cible aussi prioritaire.
Alors, bienvenue aux dames, aux trans et aux personnes racisées, bienvenue aussi aux gros, aux maigres, aux bègues, aux extrêmes timides, bienvenue aux boutonneux, aux maladroits, aux contemplatifs et aux TDAH, bienvenue aux athées mystiques et aux croyants qui ont de l’humour, aux pêcheurs à la mouche et au ver, bienvenue aux entrepreneurs empathiques et aux gauchistes qui ont le sens des affaires, bienvenue aux moutons noirs, aux merles bleus, aux vrais monarques (ceux de l’asclépiade), bienvenue aux… Merci de continuer la liste ; je dois conclure.
Il s’agit aujourd’hui de s’unir contre ce qui menace la diversité du vivant et de l’humain, non pas s’unir malgré le fait que nous soyons différents, mais bien parce que nous le sommes. Il y a là un projet politique : nous devons passer de l’alibi du on à l’engagement du nous.
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