L’éléphant blanc sur rail
J’ai tendance à penser qu’il serait judicieux de songer à légiférer contre les « innovations inutiles »

À l’occasion d’une sortie de ski de fond la semaine dernière dans l’ouest de l’île, un ami m’a parlé de la schadenfreude d’écouter des courses de ski de fond où l’on voit les skieurs se ramasser en tas après des chutes. Ce n’est pas trop ma définition de schadenfreude (la joie que l’on ressent face au malheur d’autrui), mais bref.
Le REM en revanche… « Soupirs » je vous l’ai dit, je vous l’ai tellement dit ! Je n’éprouve même pas de plaisir à voir les pannes se multiplier, tout comme les déclarations de la ministre Guilbeault, qui ne peuvent pas grand-chose pour changer un système que l’on a conçu pour qu’il soit dominant et non pas complémentaire aux autres réseaux de transport.
Retour dans le temps
Janvier 2017. Denis Coderre est encore maire de Montréal. Le rapport du BAPE sur le projet du REM vient d’être présenté au conseil municipal et les questions fusent. Elles portent sur le modèle de financement, sur l’intégration architecturale, sur l’impact sur les autres transports publics, sur les conséquences environnementales du tracé et tant de choses encore. « Le BAPE n’est pas le Pape ! » s’exclamait l’ancien maire, frustré par les inquiétudes soulevées par certains conseillers municipaux (dont moi) face à ce projet trop gros, trop beau, trop léché, trop subit pour être accepté sans soulever le drap pour voir ce qu’il y avait en dessous. Mais non ! Le projet était ficelé, on devait aller de l’avant sans plus attendre. Pas le temps de niaiser avec des questions malcommodes. C’est à peine si on n’ajoutait pas : « Vous devriez nous remercier, pauvres élus municipaux, pour les bonnes grâces offertes par votre gouvernement provincial qui veille sur vous. »
Le hic c’est qu’on avait déjà un train qui fonctionnait très bien, celui de la ligne Deux-Montagnes. En plus, il roulait au maximum de sa capacité en heure de pointe, preuve du besoin réel comblé par ce service. À l’époque, les passagers réclamaient depuis des années des trains à deux étages (il y en avait, mais pas assez) et des passages plus fréquents. Il y avait aussi une proposition de doubler la voie pour permettre un horaire élargi. Mais tout cela, nous répondait-on, coûterait trop cher.
Hold my beer.
Trop cher, vous dîtes ? Les trains à deux étages auraient coûté environ 2,5 millions de dollars par voiture. Le REM, lui ? Le projet qui était estimé à 7 milliards de dollars en 2018 est rendu à 9,4 milliards en novembre 2024. On n’est plus du tout dans la même tranche de prix… Même pas dans la même orbite.
En fin de compte, on a compris qu’il n’y avait aucun argument capable d’arrêter le train du REM. On a fini par comprendre l’ampleur de la tricherie esthétique quand on s’est rendu compte que les câbles aériens ne figuraient dans aucune des maquettes qu’on nous a présentées. Et on a fini par avoir des réponses aux questions d’implantation architecturale quand on a vu arriver les structures en béton, immenses, défigurant le paysage de l’Ouest-de-l’Île, déjà pas très idyllique, le long de l’A40. Il y a des citoyens vaillants comme Francis Lapierre qui se sont donné la peine de calculer l’impact environnemental, en tonnes de CO2, de tout ce béton, ce qui donne quelque chose comme 740 000 t CO2. Si vous vous intéressez aux impacts du béton sur l’environnement, vous verrez, en plus, que le CO2 n’est qu’une partie du problème lié à l’utilisation de ce matériau.
En dépit de toute une montagne d’arguments contre le REM, il a fini par voir le jour — en retard, et au-dessus du budget prévu. On aurait pu, lors de sa mise en fonction, oublier tous nos chagrins. Mais non, ce n’est pas là que notre histoire s’arrête. Nous apprenons ces jours-ci que le système de freinage n’est pas suffisamment robuste pour nos hivers et doit être agrémenté d’un système de chauffage pour déglacer les freins. Misère.
Un peu plus haut, un peu plus loin
Je ne fais pas référence ici à la puissante chanson de Jean-Pierre Ferland brillamment reprise par Ginette Renaud, mais bien à cette fâcheuse tendance des homo faber que nous sommes à toujours chercher une solution meilleure aux petits (et grands) inconvénients de la vie. Cela nous servait très bien quand il s’agissait, pour nos ancêtres paléolithiques, de se trouver de quoi se nourrir et se chauffer pendant les longs mois d’hiver. Mais aujourd’hui, je doute qu’on puisse encore espérer trouver beaucoup de valeur dans la destruction d’un moyen de transport robuste, fonctionnel et qui a fait ses preuves comme le train par une technologie nouvelle qui roule sans chauffeur, sur des structures surélevées, et qui semble inadapté aux fluctuations saisonnières comme le REM.
Pendant ce temps, Justin Trudeau souhaite aller de Montréal à Toronto en trois heures avec un train à grande vitesse plutôt qu’en quatre heures avec un train à grande fréquence pour à peu près 10 fois le prix et Elon Musk veut mettre un homme sur Mars puisque la Lune, bof, been there done that.
J’ai tendance à penser qu’il serait judicieux de songer à légiférer contre les « innovations inutiles », ces mises à jour de votre téléphone qui le rendent plus lent, tous ces électroménagers qui intègrent des dispositifs numériques inutiles et qui sont les premiers à briser rendant toute la machine inutilisable, ce train dont on arrache les rails et dont on envoie les wagons à la ferraille pour finalement nous patenter un truc qui passe à vingt mètres au-dessus de nos têtes et attrape la grippe au premier coup de vent hivernal.
J’espère partir une tendance, celle de l’amélioration inverse, proposée par Bill Maher, qui à sa manière de Boomer irritable, la définit comme « ces mises à jour que personne n’a demandées et dont personne n’a besoin, qui n’améliorent en rien le service mais qui représentent uniquement un changement bien souvent pour le pire. »
Justine McIntyre a une formation en musique classique. Après un passage en politique municipale, elle a entrepris une maîtrise en management et développement durable. À travers ses écrits, elle explore les thèmes à l’intersection de l’art, de l’environnement et de la politique.
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