Laïcité 2.0 : une déplorable tentative de diversion

--- 20 décembre 2024

Près de vingt ans après le début de ce qu’il est désormais convenu d’appeler la « crise » des accommodements religieux au Québec, en 2006-2007, on aurait pu croire que nous aurions appris de nos erreurs.

Photo : La-Rel Easter via Unsplash

Dans une conférence de presse pour marquer la fin de la dernière session parlementaire, le Premier Ministre Legault a fait une sortie dans laquelle il annonçait notamment l’intention de son gouvernement, lors du retour de la Pause des fêtes de fin d’Année (incluant Noël, rappelons-le amicalement), de renforcer le cadre applicable en matière de laïcité de l’État au Québec incluant une éventuelle interdiction des prières en public. Je le cite, dans ses réponses à des questions qui lui ont été posées le 6 décembre dernier[1]  :

« Moi de voir du monde à genou dans la rue, à faire des prières… je pense qu’il faut se poser la question. […] On regarde toutes les possibilités, incluant l’utilisation de la clause dérogatoire »

Cette sortie a clôturé une accumulation de déclarations passablement alarmistes, de plusieurs ministres et élu-es de l’Assemblée Nationale, quant aux problèmes d’intégration auxquels nous serions actuellement confrontés dans la société québécoise et dont, pour reprendre les propos du Ministre Jean-François Roberge, les problèmes rapportés dans plusieurs écoles du Québec ne seraient que la pointe de l’iceberg.

Près de vingt ans après le début de ce qu’il est désormais convenu d’appeler la « crise » des accommodements religieux au Québec, en 2006-2007, on aurait pu croire que nous aurions appris de nos erreurs et n’aurions pas à rejouer dans un film où l’on monte en épingle des anecdotes associées à certaines situations – toutes problématiques soient-elles – pour casser du sucre sur le dos de pratiques religieuses minoritaires, l’islam au premier chef.

Comme tout sophisme, les motifs fournis par le Premier Ministre Legault pour appuyer son intention de légiférer à nouveau en matière de laïcité de l’État (y compris le (re-re)recours, au bazooka en matière de protection des droits et libertés : la disposition de dérogation) sont ancrés dans des constats tout à fait consensuels :

Il faut, au Québec, s’assurer de protéger l’égalité entre les femmes et les hommes et refuser des demandes (ou mesures) qui ne traitent pas équitablement les deux genres;

Il faut, au Québec, agir d’une telle manière qu’on puisse appliquer le principe de la séparation du religieux et de l’État en vertu duquel la religion n’a rien à voir dans les affaires de l’État (ni des institutions publiques);

Il faut, au Québec, lutter contre toute forme de radicalisme ou intégrisme religieux (peu importe la religion qui lui est associée) et s’assurer que la rationalité et la délibération collective soient au cœur des processus décisionnels qui guident notre société;

Il faut, dans les écoles québécoises, assurer que le personnel enseignant et les directions respectent le cursus minimal obligatoire établi par le Ministère de l’Éducation et ne se livrent pas, dans l’exercice de leurs fonctions, à du prosélytisme religieux à l’égard de collègues de travail ou de leurs élèves; à cet égard, les situations problématiques rapportées au sein de plusieurs écoles du Québec – incluant l’école Bedford – sont proprement inacceptables et n’auraient jamais dû être tolérées (surtout pas sur une aussi longue période).

Une fois tout cela dit, tant les conclusions que l’incidente démarche annoncées par le gouvernement Legault sont largement déconnectées des problèmes rapportés puisque, il faut rappeler une fois encore : le cadre juridique actuel offre déjà tous les outils nécessaires aux gestionnaires et décideurs de nos institutions publiques pour faire respecter les principes que nous venons d’énoncer. Comme c’était le cas lors de la « crise » des accommodements religieux, en 2006-2007, il ne faut pas confondre le fait que des personnes fassent des demandes inacceptables avec une potentielle insuffisance des balises permettant aux décideurs de refuser ces mêmes demandes [2].

S’agissant spécifiquement des problèmes rapportés dans les écoles publiques au cours des derniers mois (incluant notamment les écoles Bedford et Saint-Maxime), les règles générales applicables en matière de relation de travail permettaient clairement aux gestionnaires d’intervenir fermement, dès le premier jour, pour mettre fin aux comportements incompatibles avec la nature des fonctions exercées par les enseignants et enseignantes en question [3].

Dans ce contexte, si l’on veut trouver des justifications à cette annonce d’intention gouvernementale, il devient difficile de conclure à autre chose qu’au gonflement volontaire d’une controverse visant à détourner l’attention des graves problèmes auxquels le gouvernement – comme l’entièreté de la population – devraient pourtant consacrer tous leurs efforts.

Comme bien d’autres institutions essentielles (nous parlons tout de même du futur de nos enfants), l’école publique est littéralement en crise depuis plusieurs années au Québec et l’actuel Ministre de l’Éducation (qui est également le père de la défunte Charte des valeurs québécoises proposée, en 2013, par le gouvernement péquiste de Pauline Marois) peine à offrir des solutions structurantes pour régler ces problèmes. Or notre Québec, pour reprendre les mots de ce même Ministre qui ne le reconnaitrait plus[4], a un impératif et urgent besoin de mesures concrètes qui assureront que tous nos enfants aient accès à un enseignement de qualité et ce, sans égard à l’épaisseur du portefeuille de leurs parents (bonjour, système d’éducation à trois vitesses!) Et, s’il faut nommer une pareille évidence, il est clair que l’interdiction des prières tenues en public (en particulier dans la rue !!) ne fait pas partie des mesures susceptibles d’améliorer la situation au sein de nos écoles.

Nul besoin de parler, en plus, des problèmes récurrents qui affectent notre système de santé, de l’urgence de nous attaquer collectivement à la crise climatique, des coupes controversées dans les programmes de francisation (plutôt antinomique avec l’objectif affiché par ce gouvernement de mieux intégrer nos nouveaux arrivants) et la catastrophique gestion des fonds publics dans le dossier de l’usine Northvolt.

Si l’on peut comprendre l’intérêt politique du gouvernement actuel à faire oublier ses nombreux problèmes en créant une énième controverse fondée sur la place de convictions religieuses minoritaires dans l’espace public (le premier Ministre ayant clairement référé à des prières musulmanes lors de sa déclaration de fin de session, le 6 décembre) : on ne peut qu’espérer que cette tentative de diversion sera considérée comme telle par la population et les médias et que le manque d’intérêt pour cette manœuvre politique forcera nos élus à s’attaquer, réellement, aux proverbiales vraies affaires. Elles ne manquent pas et ont, toutes, un criant besoin de leadership d’envergure.

._._._.

[1] Les extraits en question font partie du reportage diffusé lors du Téléjournal du 6 décembre et disponible en ligne : Stéphane BORDELEAU, « On va se battre! : Legault envoie un message aux islamistes sur la laïcité », Radio-Canada, 6 décembre, [en ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2124921/projet-loi-renforcement-laicite-ecole-quebec]

[2] Sur l’état actuel du cadre québécois en matière de laïcité de l’État, voir notamment les excellents reportages des journalistes Antoni Nerestant et Cathy Senay, de CBC : « After religious symbols law, Quebec eyes ban on public prayer: Where the province is headed on secularism », CBC.ca, 16 décembre 2024, [en ligne : https://www.cbc.ca/news/canada/montreal/religious-symbols-secularism-schools-bedford-saint-maxime-prayer-1.7411063].

[3] Bien que la proposition du Premier Ministre Legault d’agir pour interdire la tenue de prières dans des lieux publics n’aient strictement rien à voir avec l’application des principes de laïcité au sein de nos écoles publiques, le principe est également le même (si tant est que le Premier Ministre ne vise que des prières collectives… puisqu’il serait proprement impossible d’opérationnaliser une interdiction généralisée des prières – ces dernières étant susceptibles de prendre autant de formes qu’il y a de personnes physiques présentes sur le territoire québécois) : les libertés fondamentales (religion comme expression) ne permettant pas, en droit québécois et canadien, de s’exprimer en utilisant un lieu public de manière contraire à sa destination : en bloquant une rue, par exemple).

[4] Zacharie GOUDREAULT, « Les entorses à la laïcité dans les écoles doivent être sanctionnées, plaide Drainville », Le Devoir, 6 décembre 2024, [en ligne : https://www.ledevoir.com/politique/quebec/825359/drainville-deposera-projet-loi-laicite-ecoles].


Louis-Philippe Lampron est professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval. Spécialiste des enjeux liés aux droits et libertés, il intervient fréquemment sur la place publique et est l’auteur de Maudites Chartes : 10 ans d’assauts contre la démocratie des droits et libertés (Somme Toute, 2022).

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