Ce que vous avez le droit de dire
Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu'on te fasse.
Vous avez le droit de dire que la société québécoise, par la voix de certains de ses leaders politiques et colporteurs d’opinions, a développé depuis une quinzaine d’années un discours xénophobe et raciste, centré sur l’exacerbation d’une identité nationale de souche française, blanche et catholique, qui exclut et diabolise l’Autre, en particulier l’immigrant non-européen, non-chrétien et non-francophone, perçu comme une menace pour Nous.
Vous avez le droit de dire que l’identité québécoise traditionnelle, ancrée dans la langue française, une culture héritée de nos ancêtres de Nouvelle-France et une morale catholique, est menacée de dilution, à une époque de dénatalité prononcée, par une immigration significative et un encerclement anglophone qui pourraient bien reléguer la société québécoise à une parenthèse de quatre ou cinq siècles dans les futurs manuels d’histoire de l’Amérique du Nord.
Vous avez le droit de dire que l’identité de genre est distincte du sexe assigné à la naissance, que le genre est fluide, non-binaire et auto-identifié et qu’il doit prévaloir sur le sexe biologique et que, par conséquent, les filles et femmes trans doivent être admises dans les équipes sportives féminines, partager les vestiaires, toilettes et prisons de femmes, et que les mineurs qui le souhaitent devraient avoir un accès simple et rapide à des hormones et des chirurgies visant le changement de genre.
Vous avez le droit de dire que l’identité de genre est une théorie qui n’affecte pas la réalité du sexe biologique, incluant les caractéristiques physiques différentes des hommes et des femmes, et que si les personnes transgenres méritent d’être traitées avec dignité et respect, le sexe biologique doit prévaloir sur l’identité de genre dans toutes les situations où la réalité physique est en cause – sport, médecine, lieux intimes, prisons et autres – et qu’aucun mineur ne devrait subir d’interventions hormonales ou chirurgicales visant un changement de genre.
Vous avez le droit de dire que le mouvement masculiniste et les autoproclamés hommes alphas sont la caricature d’un dérapage réactionnaire, la manifestation mythologique, désespérée et dysfonctionnelle d’une arrière-garde incapable de s’adapter aux attentes égalitaires du monde moderne, une mouvance dysfonctionnelle qui cherche désespérément à renvoyer les femmes dans les gynécées et les cuisines d’antan pour retrouver, à l’abri de toute concurrence et de tout ombrage, la stature, les codes et le prestige perdus.
Vous avez le droit de dire que le féminisme et la révolution sexuelle des 50 dernières années, qui ont profondément bouleversé l’organisation sociale, économique et familiale de l’Occident, ont échoué à créer un monde meilleur alors même que les sociétés ne font plus d’enfants, que les femmes sont anxieuses, seules et malheureuses, que les hommes dérivent, s’isolent et se suicident, et que seul un retour aux identités et aux rôles plus traditionnels pourra redonner aux hommes et aux femmes leur dignité et le sentiment d’une destinée complémentaire et féconde.
Vous avez le droit de dire que les femmes ont un droit absolu de disposer de leur corps en toutes circonstances, que leur décision d’interrompre leur grossesse, à n’importe quel moment et pour des raisons entièrement discrétionnaires, découle forcément de cette liberté, et que toute tentative de limiter ou d’encadrer le droit à l’avortement constitue une entrave impermissible aux droits fondamentaux, à l’égalité et à l’autonomie des femmes.
Vous avez le droit de dire que la question de l’avortement, bien qu’intimement liée au corps et à l’autonomie des femmes, implique également les droits d’un enfant à naître et qu’il est légitime, notamment pour des raisons éthiques, de chercher à limiter ou à baliser le droit à l’avortement, en particulier suivant les circonstances et l’avancement de la grossesse, comme le font presque tous les pays du monde.
Vous avez le droit de dire que l’État d’Israël, perpétuellement menacé par ses voisins, et au premier chef l’Iran, a non seulement le droit de se défendre mais de répliquer à l’attentat dévastateur du 7 octobre 2023 de manière à dégrader significativement les organisations terroristes qui l’ont attaqué, leurs réseaux et leurs alliés, et ainsi envoyer un message dissuasif sans équivoque à ses ennemis, en attendant d’avoir des partenaires crédibles avec qui négocier la paix.
Vous avez le droit de dire que l’État d’Israël, bien qu’ayant le droit de se défendre et de répliquer à des attentats terroristes, a poussé ses attaques et ses actions à Gaza au-delà de toute limite raisonnable, au mépris des populations civiles et du droit international humanitaire, et que la réalité du traitement des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie depuis des décennies, combinée à la rhétorique ultranationaliste et expansionniste de certains de ses leaders politiques, est assimilable à un apartheid, ou pire.
Vous avez le droit de dire que l’élection de Donald Trump consacre le triomphe du fascisme moderne, l’aboutissement du populisme incompétent et la victoire du mensonge et du complotisme sur les faits, l’expertise et la pensée rationnelle, incarnés par un président narcissique et amoral qui entérine et encourage les plus bas instincts racistes et misogynes de l’Amérique, et dont le pouvoir menace les fondements libéraux et démocratiques des sociétés modernes.
Vous avez le droit de dire que, nonobstant les frasques et les incivilités du personnage, la victoire de Donald Trump agira comme un électrochoc salutaire pour des institutions démocratiques, une fonction publique et des normes politiques qui ont été corrompues et noyautées depuis des décennies par des lobbies et intérêts particuliers, une coterie de consultants et d’idéologues, et une technocratie opaque et toute-puissante qui ont complètement déconnecté la classe politique américaine de sa population.
Jérôme Lussier s’intéresse aux enjeux sociaux, politiques et économiques. Juriste, journaliste et idéaliste, il a tenu un blogue au VOIR et à L'Actualité et a occupé divers postes en stratégie et en politiques publiques, incluant à l'Assemblée nationale du Québec, à la CDPQ et au Sénat du Canada.
7 Commentaires
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Bel exercice de l’homme de fer 👌
En dernier j’ajouterai: Vous devez accepter que vos adversaires idéologiques formulent contre vous des énoncés contraires et vous traitent selon le cas de réactionnaire ou de woke, ainsi va le débat démocratique.
Encore faut-il avoir le courage de le dire et de déplaire ! Avons-nous touché le fond en matière d’autocensure ?
Le billettiste a oublié de d’écrire qu’on a le droit de dire que la terre est ronde ou son contraire, qu’elle est plate. À moins que ce ne soit pas un oubli… Dans ce cas, il considèrerait qu’on n’a pas le droit de dire n’importe quoi et son contraire. Il resterait à déterminer ce qui est n’importe quoi… Est-ce qu’une croyance est n’importe quoi ? Que dire d’un mensonge ? Est-ce qu’une affirmation qui cause du tort (ou risque d’en causer), c’est n’importe quoi ?
Prenons par exemple Mathieu Bock-Côté. Il prétend que la civilisation musulmane est incompatible avec la civilisation occidentale. Qu’il ait raison ou tort n’a pas d’importance. C’est sa crédibilité qui importe. Les musulmans et les Occidentaux sont nombreux à croire la même chose que monsieur Cock-Côté. On voit les résultants : une guerre sainte commencée depuis belle lurette, qui a fait de nombreuses victimes, qui en fait encore tous les jours et qui en fera probablement ad vitam aeternam. Alors, quand on fait partie de l’élite, a-t-on le droit – moralement parlant – d’affirmer que nos valeurs occidentales sont incompatibles avec celles des musulmans ? L’élite ne devrait-elle pas mesurer ses paroles et éviter les affirmations – vraies ou fausses – qui risquent de faire plus de mal que de bien ?
« On va toujours trop loin pour les gens qui vont nulle part »
C’est un peu l’essence que j’ai retiré de ce billet, une belle exercice d’écriture de rien du tout.
Ah, le centrisme, quelle belle illusion.
À t-on le droit de dire qu’exercise est masculin?
Ou alors que, lorsqu’on considère qu’on est arrivé, on peut rester au centre. Juste un peu?
Euh, c’est quoi le message ?