Comme des enfants de choeur
Lancement de la campagne électorale municipale sur fond de polycrise

Je me suis rendue dimanche dernier au Vieux-Montréal, plus précisément au parc sur la rue Notre-Dame, juste en face de l’Hôtel de Ville, pour le lancement de campagne de l’équipe d’Ensemble Montréal. Je serais aussi allée au lancement de Projet Montréal, qui s’est tenu mercredi, de l’autre côté de l’Hôtel de Ville, si ce n’était pas d’un mandat qui me retenait à Québec.
De toute façon, la mise en scène est toujours la même. Une journée qu’on espère ensoleillée; un lieu significatif pour la suite des choses; des personnes vêtues de qu’on appelait autrefois leurs « habits du dimanche », placées en rangs sur des gradins derrière leur chef qui parle dans un micro en indiquant d’un grand geste du bras les personnes souriantes derrière lui.
Une démonstration de force et de vitalité, une expression collective d’une volonté de servir et d’optimisme que les solutions sont à portée de main, qu’enfin, la ville ira mieux.
C’est possiblement mon parcours en musique et mon amour pour cet art qui font que je me surprends, malgré l’absurdité de la chose, à m’impatienter qu’ils se mettent enfin à chanter, alignés en rangées comme ils le sont derrière leur chef.
« Vous connaissez la chanson ! » dit-on parfois, en parlant de nos femmes et hommes politiques. Et puis, « attendez qu’ils déchantent ! » — je ne suis donc pas seule à y associer la métaphore.
Et puis, il y a en effet quelque chose d’enfant de chœur dans cette présentation d’équipes toutes neuves, dans toutes ces personnes de bonne volonté, nos voisines et voisins, qui sortent du lot et se proposent pour nous représenter. Ils viennent aussitôt nous parler, avec consternation et enthousiasme, de nos infrastructures souterraines et de nos aménagements urbains, chantant les louanges de quelques jolies innovations qui chatouillent l’imaginaire : saillies de trottoir, parcs-éponges, rues partagées, woonerfs, rigoles (je vous jure!) biologiques et autres farandoles.
C’est bien. Et c’est aussi dans l’ordre des choses du monde, de souhaiter un renouveau, de vouloir qu’on nous dise que c’est possible d’imaginer nos milieux de vie autrement que ce qu’ils sont parfois: ternes, usés et peu fantaisistes.
Si autrefois on nous faisait rêver d’une ville qui accueille le monde entier, des Jeux Olympiques à l’Expo, d’une ville en croissance, de services de transport collectif en expansion, de stades tout neufs et de courses électriques, aujourd’hui on nous dit qu’il serait mieux de baisser notre regard pour contempler plutôt nos quartiers immédiats. Un bout de piste cyclable par-ci, une revitalisation du mobilier urbain par là, et ça ira mieux; surtout, on nous entretient sur le domaine du réalisable.
Tenez — la mairesse de Longueuil, elle, amène encore plus loin ce pragmatisme: il n’y aura pas de nouveaux projets chez elle ! Pas de coupures de ruban — que des choses « pas sexy », des réparations d’égouts et des réfections de rues parsemées de nids-de-poule. Un candidat à la mairie de Montréal nous annonce qu’il n’y aura pas de slogan, que des solutions. Fini le rêve, l’heure est à la technocratie raisonnable et les quick fix !
Est-ce avouer que les villes sont revenues à la raison après s’être envolées dans les nuages ? Les yeux plus grands que la panse, les administrations municipales ont-elles apprises, à force de subir des maux de ventre à répétition, à maîtriser leur gourmandise pour du neuf, du flash ?
C’est peut être la sobriété qui nous gagne et qui jette malgré nous son ombre sur nos plans, obscurcissant les sunny ways qui se retrouvent soudainement derrière nous. « L’Hiver approche » en effet, et les quelques signes précurseurs (qu’on a précipitamment nommés « crises » puisqu’on n’a pas encore eu à vivre la suite !) laissent présager qu’on aura besoin de conserver nos forces pour les affronter.
C’est donc dans ce contexte dénué de grands rêves qu’on appelle l’époque moderne — époque qu’on n’a pas choisi mais qu’on subit néanmoins — que ces candidates et candidats choisissent de se lancer en politique municipale. Je lève mon chapeau et leur témoigne ma reconnaissance pour les dialogues qu’ils engageront avec leurs concitoyens et concitoyennes, pour les longues soirées autour de la table du conseil municipal à débattre de règlements et de dispositions, pour les décisions parfois difficiles qu’ils auront à prendre et à défendre publiquement, et pour les mots parfois blessants qu’ils auront à encaisser de la part de personnes qui se cachent derrière un avatar.
On leur souhaite de préserver l’harmonie et les belles intentions d’enfants de chœur qu’ils sont aujourd’hui. Et un peu de rêverie aussi.
Justine McIntyre a une formation en musique classique. Après un passage en politique municipale, elle a entrepris une maîtrise en management et développement durable. À travers ses écrits, elle explore les thèmes à l’intersection de l’art, de l’environnement et de la politique.
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